Janou raconte... |
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Vendredi 25 juillet 2003. Nous irons vers l'Est en direction de Marseille, avec un vent fort prometteur, Nord/Nord Ouest, force 5/6 8h 25, Lune de Miel quitte le CVM avec impatience et sans faux pli. 8h 35, le majestueux pont de Martigues ouvre ses bras monstrueux et nous on s'y précipite. Lorsque je me promène à terre, il m'est arrivé d'être bloquée sur la route par l'ouverture du pont. Je regarde d'en haut passer les bateaux qui piétinent dans le bassin en attendant la liberté de passage sur l'eau. Quand la mécanique d'ouverture se met en branle et que tout doucement la route s'ouvre en deux, les voiliers qui se laissaient plus ou moins dériver devant le pont, d'un coup foncent dans le passage. C'est un joli spectacle mais c'est un plaisir seulement esthétique. Lorsque je suis sur l'eau et que la route s'ouvre ainsi devant nous, je ne suis plus spectateur. Voilà que je fais partie du paysage. Cette sorte de départ, c'est comme un miracle, une rupture totale avec la terre. J'adore ce moment là et je frémis à chaque fois de la même impatience. Martigues est magnifique. Le soleil du matin est doux et la lumière un peu rose. La ville défile le long du chenal. Toutefois, nous devons rester vigilants. Il y a souvent des canots un peu nerveux qui nous croisent à toute allure et lèvent des vagues désagréables. Nous pouvons être rattrapés par un cargo qui va vers les raffineries de l'étang. Il y a toutes sortes de barcasses de pêcheurs qui traînent leur lignes et pêchent à la dandinette... Il y a aussi de drôles de rafiots qui font un raffut de tous les diables quand ils nous croisent. Il y a les fadas qui font du rodéo sur les risées, stars d'eau douce aussi ridicules que dangereux. Mais surtout, il y a dès la sortie de la ville dans la zone des chantiers navals une étrange organisation de pêche. Si on passe au bon moment, on aperçoit sur la rive droite un espèce de cabanon, murs de travers, amas de tôles, de poutres, toits façon Eternit... Inoffensive cette masure délabrée ! Alors pourquoi y a-t-il, pile en face, sur l'autre rive, d'immenses pics et pieux munis de treuils qui débordent de la surface de l'eau. Aussi laid que mystérieu !Jusqu'au jour où arrivant là sur les traces d'un cargo qui nous avait dépassés, nous avons eu la surprise en arrivant à ce niveau de trouver en travers du canal, un énorme filet levé sur toute la largeur. Trois hommes dans une petite barcasse se tiraient le long du câble du filet pour ramasser les prises. Comme ça, tranquillement en plein travers du canal de Martigues. Peut-être que les cargos en provoquant d'énormes remous affolent les poissons et les précipitent dans ce filet tapis au fond de l'eau. Après le passage des gros navires, les pêcheurs montent le filet pour le vider.... Et comme nous sommes plus lents que les gros navires commerciaux, nous arrivons juste au bon moment pour nous y casser le nez. Il faut qu'on s'immobilise au milieu du chenal jusqu'à ce que ces étranges pêcheurs libèrent le passage. Il y a deux installations de cette sorte dans le chenal. Aujourd'hui, des hommes s'agitent devant le cabanon, l'un d'eux actionne le treuil... Laurent pousse un peu les gaz pour manifester qu'on veut passer, et moi je crie "hou hou..." comme si j'appelais des potes en faisant de grands moulinets avec les bras. Le mec nous regarde, il immobilise sa mécanique.... Il nous fait un signe qu'on ne comprend pas. Super, on voit le filet qui redescend. Ouf, il a attendu qu'on passe. A quelques minutes près on se faisait stopper. Ce n'est pas très grave, mais je déteste être obligée de faire des ronds dans l'eau au milieu du canal... Je ne suis prête ce matin à aucune contrariété. Ce n'est pas le meilleur état d'esprit pour partir en mer. Mais aujourd'hui c'est comme ça. Je pars en vacances et je veux que tout soit idéal. Normal non ? Une fois que nous sommes sortis du bassin de Port de Bouc l'espace maritime s'élargit. Les silhouettes sombres des porte-conteneurs en attente d'autorisation d'entrée donnent des idées de voyages lointains. On passe à proximité pour le plaisir de saluer les équipages qui tuent le temps en fumant au dessus du bastingage. Ils nous font de grands signes d'amitié. Je me sens en harmonie totale avec les vacances. C'est là que le vent promis s'est perdu je ne sais où. Donc on remet le moteur "broum, broum, broum..." on avance gentiment à 5 noeuds en guettant les risées... La mer est à nous.... Lorsque se dessine le sémaphore de la Couronne, la grand-voile se cabre et d'un coup, le vent est là. Laurent tangonne le génois, et les deux voiles en ciseaux font merveille. Il y a un peu de mer, une petite houle de fond, résidu des coups de vents qui ont précédé. Mais on fonce à 7 noeuds. C'est franchement sympa. On s'écarte de la Côte bleue avec l'idée de dépasser Marseille et ses îles pour profiter du vent et filer plus loin vers l'Est tant que ça marche si bien. On est à 5 milles des côtes, Marseille et le Frioul sont fondus dans la brume. On frôle le phare du Planier. Une large tache rose s'élargit à l'avant du bateau. Drôle d'artifice ! Impossible à identifier. D'un coup l'image se précise. Des ombres grises enrobées de dégradés de rouge, rose et blanc. De longs glissements de plumes. Une flotte de flamants roses nous croise à grands coups d'ailes entre ciel et mer. Ils avancent en silence. Quel majesté ce vol ! Trois minutes de bonheur total, non, un peu plus ! J'avais oublié combien la baie de Marseille est jolie, même fondue dans la brume. Les hautes falaises des calanques entre Marseille et Cassis nous rappellent nos débuts à la voile, du temps d'Athor et de nos premiers coups de vent. De loin , Le Bec de l'Aigle, banlieue de La Ciotat, semble avoir pris un coup sur le nez.A 15 heures nous sommes au large de Bandol, le vent est régulier, on se laisse porter. Il est tôt et la navigation est idéale malgré la mer quelque peu houleuse. Après l'île des Embiez, le vent nous porte toujours gentiment. C'est dit, on ira jusqu'à Porquerolles. En arrivant à proximité des îles d'Hyères, le vent force 6/7. On fonce dans les vagues. Pourvu qu'il n'y ait pas trop de monde, l'arrivée au mouillage pourrait être scabreuse. Pas de souci. Lorsque nous arrivons entre île et continent, il est à peine 19 heures et c'est le désert total. Pas une embarcation en vue dans le passage. Même pas une navette. Que font les touristes ? Le premier mouillage est presque désert. Mais nous préférons la plage Notre Dame. Nous y avons nos repères et nous y serons abrités. A peine dix bateaux à l'ancre. Dont beaucoup de canots légers. La plupart rentreront au port avant la nuit. Inespéré non ? Chouette ça démarre cool, les vacances. On est bien ici.... Samedi, fin de semaine, quelques petits bateaux à moteur viendront pour la journée histoire d'agiter un peu la baie. Il y a un peu de houle, juste un doux bercement. On en a vu d'autres. N'est-ce pas les enfants ? Dimanche matin on décide de s'offrir une pause à Port Crau, mouillage idyllique loin de la foule et des navettes puantes. Une petite navigation de quelques miles nous permet une installation de rêve à Port Man au milieu des pins et des cigales qui s'en donnent à coeur joie. Le vent dévale assez violemment à travers la baie et le voilier tourne sans arrêt autour de l'ancre. Mais il n'y a pas de houle, c'est bien l'essentiel. Toutefois, on voit bien le large qui moutonne et les coups de vent qui sont annoncés par Monaco Radio méritent d'être pris au sérieux. Je m'offre le luxe du hamac en soirée lorsque l'ombre tombe sur le mouillage. Et on attend sagement la bonne fenêtre météo pour traverser. Le paradis, vous connaissez ? C'est fou, c'est tout près de chez nous. ![]() |
Mardi soir, une fenêtre météo est annoncée. Mais il faut être arrivé mercredi soir, car jeudi matin un nouveau coup de vent est prévu à l'est des îles d'Hyères, sur la Corse et la Sardaigne.... Mercredi matin, nous prenons la météo à 9h, confirmation de l'accalmie. On décide de partir, sinon nous serons piégés par de nouveaux coups de vent. Faut pas traîner. 10h 15, on quitte le quotidien pour se lancer dans une petite aventure de quelques 160 milles à travers la Méditerranée et comme souvent ici, c'est au moteur qu'on commence. Les îles progressivement sont fondues dans la brume, et je rêve. Nous pouvons établir notre voilure en fin de matinée. Il y a toujours du vent au large, de plus en plus arrière. Laurent bien entendu a renvoyé ses lignes de pêche. Je m'autorise un sourire ironique. N'insistons pas, ça le désoblige... La nuit tombe un peu après 21heures et pour une fois je me force à rester dehors pour ressentir ce moment terrible que je déteste entre crépuscule et nuit. Le ciel que le soleil couchant avait rougi devient gris puis de plus en plus sombre. "Laurent, s'il te plaît, range tes lignes, je ne veux pas que tu pêches la nuit. Si ta prise te fout à l'eau, je ne te reverrai plus". Toujours à contrecoeur, Laurent range ses lignes. Et la nuit tombe. Il y a la mer qui est toute noire, et il y a le ciel qui se démarque très flou. Une ligne d'horizon pas nette, gris-noir. Ce sera une nuit sans lune. A travers la houle, Lune de Miel bondit dans je ne sais quel gouffre sans fond. J'ai un peu peur et en même temps je suis fascinée. Les vagues de temps en temps viennent se frotter sur la coque. "Pas de souci, dit la mer, tu navigues en bonne eau".... On file toujours entre 6 et 7 noeuds. Je prends la barre, il faut absolument que je me concentre sur quelque chose en attendant que la voie lactée mûrisse et nous donne un peu de clarté. D'avoir à surveiller la route (attention aux pièges des filets qu'on redoute toujours) et les éventuelles rencontres de navires, j'ai l'impression de prendre mon destin en main et je me sens mieux. Pour garder mon cap j'ai repéré une étoile à la hauteur du point d'écoute du foc. Il faut que la voile trempe sa pointe dans cette étoile pour que je ne me déroute pas. Un peu comme une plume dans l'encrier du ciel. Les vagues nous poussent intempestivement de travers et je dois sans arrêt réajuster ma plume sur l'encrier. Ca m'occupe deux bonnes heures. Mais mon étoile monte dans le ciel et je perd mes repères. Et puis maintenant, je suis familiarisée avec la nuit. Elle m'envahit de plénitude. Je redonne la barre au pilote automatique. Tout va bien. Vers minuit, le pilote fait des caprices. Nous détectons une panne de connectique... Pas bien grave, Laurent réglera à l'arrivée. Mais nous devons changer de pilote. Nous maîtrisons cette opération désormais. Pas vraiment important. Ca nous occupe une petite demie heure. Vers une heure du matin, le vent faiblit. Rapidement la houle nous arrête. Trois noeuds et demi, deux noeuds, un noeud et demi.... Si on ne veut pas s'endormir tous les deux au volant, il voudrait redonner un peu de punch à notre allure. Moteur ! Lorsque nous allumons le feu de hune pour éclairer le pont et nos manoeuvres d'affalement de voile, la nuit autour de nous devient totale. La voile est ferlée un peu vite, éteignons cette lumière qui nous éblouit. Le moteur ronronne, le pilote de secours ronronne, Nous cheminons, seuls dans la nuit d'été et le chuintement régulier de l'eau sur la coque. Je me sens à la fois très proche et très loin de Laurent. Nous marchons ensemble avec pourtant chacun nos propres fantasmes....Dont je vous ferai grâce pour aujourd'hui. Lorsque le jour se lève, nous avons dormi chacun deux heures et demi. Je me recouche vers 6 heures du matin, mais je ne peux pas dormir. Je suis épatée, la nuit a filé très simplement, sans mauvaise rencontre, entre rêve et somnolence. Impecc. Il fait grand jour, nouvelle trempette pour la ligne de Laurent. Et renvoi de la voilure. Le jour se lève et le vent aussi. Dans la matinée nous croisons de vieilles connaissances, dauphins, puffins, grands labbés... Je somnole calée dans le cockpit et suis "réveillée" en sursaut. Un "toc" un peu sourd sur la plage arrière... Un tout petit oiseau brun s'affale dans les cordages. Mince alors, mort d'épuisement ? J'ai juste à tendre la main pour le toucher. Je l'effleure du bout de l'index. Douceur incomparable ! Il ne réagit pas. Il est vautré dans les cordages, les yeux clos, mais sa poitrine se soulève. Il dort ? Je continue de le caresser du bout des doigts. Quelques minutes. Il lève la tête, il cligne des yeux. Je retire vite ma main. Il ouvre ses ailes, il s'ébroue. Il a d'immenses ailes arrondies toute noires. Et son corps est si petit ? Il se replie, il cale sa tête dans les cordages et se rendort. Il est resté là deux bonnes heures. Et d'un coup d'aile, sans prévenir personne, il est reparti. A peine l'oiseau nous a-t-il quitté que la ligne de Laurent est prise de frénésie. Vous n'allez pas le croire. Laurent a prise un ENORME poisson. Et il est bien décidé à pas perdre sa prise " Faut qu'on ralentisse, choque la grand'voile !" Ya qu'à demander Seigneur ! Il prend son temps l'heureux pêcheur. Il amène en douceur la bête au cul du bateau. "Quel joli thon vous avez là, mon beau Monsieur ; mais il ne sera pas volontaire pour monter à bord !" On tergiverse. Laurent sort l'arme ultime. C'est la gafàZac, perche munie d'un méchant croc, aussi efficace que cruel (le croc, pas Zac). J'en suis malade. Un massacre à la gaffe s'annonce. Et c'est un si bel animal. (le thon pas Zac !) Je me sauve à l'avant du bateau. Quelques minutes plus tard, Laurent comblé vient me rejoindre. " Viens voir, on va se régaler !" ![]() - Tas fini ta boucherie ? - Mais oui, c'était rien, t'en mangeras au moins ? C'est vrai, la bête est splendide. Laurent l'a découpée, épluchée, tronçonnée... Oui, j'en mangerai. On peut stocker du frais environ 12 heures avec notre frigo défaillant. Au delà, on risque fort l'empoisonnement. On décide d'en garder une portion dans le sel, comme m'a indiqué Jean pour ses conserves de haricots verts. (salut mon frère, salut Denise, dans notre doux pays des Vosges !).. Orgie de thon donc en perspective ! Et vogue la galère, digestion dolente comme la navigation ! A vingt milles des côtes on devine les contours de la Sardaigne à travers la brume. Trois heures plus tard on entre dans le golfe d'Asinara.... Pour trouver le mouillage dans lequel on veut s'abriter nous devrons faire encore une douzaine de miles, il est 16 heures.... Pourvu que le vent nous lâche pas, je voudrais bien arriver avant la nuit. Ces douze miles m'ont vraiment pesé. Je commençais à ronchonner que c'était bien loin dans la baie ce mouillage. Et d'un coup j'ai vu les mats des voiliers pile devant nous.... On a commencé à croiser des embarcations de toutes sortes.... On arrivait en pays civilisé... Finalement je n'étais plus si pressée que ça. Plutôt inquiète.... Y'en a du monde ici ! Où allons-nous caser Lune de Miel...?Le mouillage dans l'avant-port est immense et malgré l'intense circulation, il n'y a que quelques bateaux plantés là. On s'installe à 18h 30, bien avant la nuit. Le mouillage est calme, sympa, à deux pas du port et du village... On propose du thon frais à l'équipage le plus proche, ils sont cinq, ils sont français et surtout ils nous ont dit bonjour quand on est passé près d'eux.... On devient copains... Ce sont des voyageurs. Ils viennent de Croatie.... Il connaissent bien la Sardaigne. On a des choses à se dire ! Venez boire l'apéro demain soir ! |
Samedi 2 août 2003 Samedi 2 août 2003- STININO -Capo la Testa Mouillage de la Colba
- 42 miles- |