Lundi 11 août 2003. Côte Est de la Sardaigne.
Nous venons de quitter la marina de Maria de Navaresse, juste un port
mais très sympa dans un site exceptionnel ; la ville est à
3 km. Un calme remarquable et plein de places où se caser. Je vous
conseille vivement cette étape. Sachez que la nuit nous a coûté
44 euros, avec l'eau mais sans l'électricité. Il aurait
fallu investir 7,85 euros de plus et nous n'en n'avons pas besoin, grâce
à l'énergie fournie par les panneaux solaires.
Dimanche nous
avons loué un scooter pour une journée de folie à
terre. Extra. L'engin qui nous a portés est tout neuf, et très
luxueux, à mi chemin entre la mobylette et la Maraudeur....
On ne s'attarde pas en ville, juste le temps d'acheter un carte de la
région. La ville d'Arbatax, recommandée par le guide ne
vaut vraiment pas le détour. Rien à y faire et le port est
surtout industriel. Cette ville exploite le liège de l'arbre du
même nom. C'est la seule activité. N'y allez surtout pas.
Nous, on se casse en vitesse. On prend des petites routes qui doivent
s'enfoncer dans la montagne. Une trentaine de kilomètres, trois
petites communes. On voit d'abord dans un creux de falaise, des étages
de maisons sobres, un alignement de murs blancs que les volets tachent
de brun. Vilaines blessures à flanc de montagne. Pas de boutiques,
une école. Un petit dépôt où on croit trouver
pain, viande, légumes... Mais il est fermé. Il n'y a qu'un
bar ouvert, ou un restaurant, et l'église. Les vieilles femmes
que l'on croise devant leur porte sont habillées de longues robes
noires très raides. Quelquefois, un fichu gris perlé leur
couvre la tête, quelquefois c'est une capuche noire intégrée
au vêtement. Elles sont maigres, le visage très sec, le nez
étroit, de grands yeux perçants. Les vieilles femmes n'ont
pas l'air commode de loin. Mais quand on les approche et qu'on les salue,
elles changent instantanément de masque. Elles sont aussitôt
souriantes et agréables. Quelquefois, elles sont assises à
plusieurs au bas d'un escalier et papotent à voix basse. Elles
font "coirauche", Elles sont d'une remarquable discrétion.
Les hommes aussi se retrouvent, à l'ombre d'un mur, sous un arbre.
Ils semblent plus extérieurs. Lorsque nous passons en moto, je
leur fais bonjour en passant. Je remarque leur air épaté.
Nous sommes déjà passés. J'ai l'impression d'entrer
dans un livre d'images. Fantastique ! Mais où sont les jeunes ?
Et les villages si vilains aperçus de loin, cachent d'étonnants
trésors. Les murs des maisons sont
décorés de fresques gigantesques. Ces peintures retracent
des pages d'histoire, des scènes religieuses, des images du passé
qui se mêlent à des images d'aujourd'hui. L'effet de relief
est formidable. On n'a pas l'impression du tout que c'est du semblant.
Quelquefois, le pignon d'une boutique est peint de fenêtres, de
vitrines où sont étalées les marchandises, quand
on tourne l'angle de la rue, on entre dans la vraie porte du magasin...
saisissant.
Plus tard, nous traversons une zone de lacs joliment bleutés. Mais
on n'y voit pas l'ombre d'une habitation. Personne, absolument personne
ne fréquente ce site idéal.
Pour grimper au Mont Gennargentu (1834 mètres) nous choisissons
le "passo corru e boi", ancienne route qui grimpe à 1273
mètres pour redescendre vers Tortoli. Elle a été
abandonnée depuis qu'une voie neuve a été tracée
dans le fond de la vallée. La nouvelle route permet d'éviter
le col qui ne doit guère être praticable en hiver.
Mais cette route, quelle enchantement ! Encore une fois, nous sommes les
seuls à l'utiliser. Au début elle paraît normale,
sauf un peu défoncée par endroits. Pendant une vingtaine
de kilomètres on grimpe tout doucement à flanc de montagne.
Ce n'est pas une route ordinaire.
La montagne ne se présente pas comme un immense bloc de granit
qu'il faut grimper en lacets et contre lequel on se cogne. Pas du tout.
C'est plutôt comme trois plateaux qui s'étalent en profondeur.
La vue est très ouverte. Au premier plan qui borde notre route,
on monte d'abord à travers des étendues de fougères,
de bruyères et de rocailles. En second plan, où qu'on regarde,
de magnifiques forêts de chênes liège, d'eucalyptus
et de pins montent à l'assaut des chaumes. En arrière plan,
tout au fond, de grands pics de granit roses et rouges, pointent leurs
lances vers le ciel. Mais oublions le paysage. La route devient dangereuse.
Elle est embarrassée de bouses de vaches, crottes et crottins de
tout acabit, plus ou moins grillés par le soleil. On roule à
trente ou quarante km/h, le thermomètre du scooter affiche 38°.
Les vaches sont vautrées dans les broussailles, écrasées
par la chaleur.. Les moins paresseuses flânent à travers
la chaussée. Elles ruminent au milieu de leurs bouses en nous ignorant
magistralement. L'une en équilibre au dessus d'un précipice
se démanche le cou pour brouter d'inaccessibles pousses. Il est
vrai que brouter ça ou des cailloux, le choix est bien pauvre.
Et les vaches ici sont maigres... Les bouses et les vaches s'espacent.
La route redevient plus claire. Laurent passe à 60 Km/h. Au détour
d'un virage un peu sec, il met la zizanie dans un troupeau de chèvres
qui s'envolent presque tellement elles sont affolées par notre
arrivée. C'est joli une envolée de chèvres.
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Un peu plus loin ce sont des cochons noirs qui traînent leur
groin au ras des cailloux. Lorsque nous perdons de vue la garrigue, l'air
se rafraîchit, on atteint le deuxième étage, entre
800 et 1000 mètres. J'éternue douze fois. La campagne se
couvre de forêts. On caille mais on trouve ça délicieux.
Nous passerons au ralenti au milieu des chevaux. Leurs pattes sont d'une
finesse exceptionnelles et longues, longues....
Jusqu'à plus de 1000 mètres d'altitude on croise ainsi des
troupeaux semi sauvages... Il n'y a pas de gardien, pas de chien, pas
de maisons en vue... Au sommet, On slalome entre des moutons, avec leurs
chiens cette foi. Des gardiens hargneux qui coursent systématiquement
le scooter. Nous débouchons sur des chaumes grillés par
le soleil. C'est le site que nous cherchons. "Bau e Tanca".
Autrement dit, les ruines d'un village entier de l'époque néolithique.
Un bel espace envahi de pierres plus ou moins empilées.... C'est
l'époque nuraghique de la Sardaigne. Ces sites, les "nuraghi"
me font penser aux vestiges gaulois de Bretagne. C'est impressionnant
et nous nous attardons volontiers à travers ces vestiges.. le thermomètre
dégringole à 24°. Il fait bon, délicieusement
bon flâner sur ces chaumes.
La route que nous continuons pour redescendre est de plus en plus scabreuse.
D'énormes blocs de pierres sont descendus des falaises et la route
est très encombrée. Laurent de nouveau roule au ralenti.
Il est 17h30, on traverse un groupe de vaches avec les veaux sous elles.
C'est l'heure du goûter des petits. Peut-être que la route
est le terrain le plus stable pour téter dans de bonnes conditions.
Notre passage ne les perturbe pas, absolument pas.
Nous avons passé une journée hors du monde, environnés
de silence et de lumière. Si un jour je veux rompre, je me souviendrai
de ce pays.
Lundi 11 août 2003.
Nous descendons toujours vers le sud. Retour au mouillage et à
la vie sauvage. Porto Frailis est à 8 milles nautiques. Petite
promenade de santé avec une brise côtière sympathique....
Bavardage à bord
- Oh mais ton doigt est guéri !
- Tu crois ?
- C'est super, tu vas pouvoir nager....
Voyons y de plus près ! A la lecture de mes loupes, je ne le trouve
pas si net que ça mon doigt.
- Il est encore douloureux, j'aimerais mieux attendre encore un peu ....
En plus, j'ai rangé mon maillot je ne sais où. Non, ce n'est
pas possible !
- Ton maillot, pourquoi ? Va donc te baigner toute nue...
Vendredi 15 août 2003. Toujours vers le sud.
Nous naviguons dans le golfe de Cagliari, nous avons fait quelques mouillages
extras. La montagne progressivement se transforme en collines. Les côtes
sont avenantes, de belles plages bordées de villas, de bosquets
d'eucalyptus, de pins et de palmiers. Nous bénéficions toujours
de brises côtières pas toujours favorables à la navigation
mais bien appréciables dans les mouillages.
J'ai quand même profité de ces conditions exceptionnelles
de mer pour me familiariser avec les bains dans une mer turquoise qui
ne cache rien de trouble dans ses fonds. J'utilise chaque jour l'échelle
de bain et le gilet de sauvetage pour gigoter au ras de l'eau. C'est vraiment
agréable; Un fois ou l'autre je fais preuve d'héroïsme.
Je me risque en hurlant à quelques brasses du navire... Quel exploit
! Je suis loin d'avoir résolu mon problème avec la natation....
Mais je ne veux pas vous pourrir la lecture avec mes problèmes
personnels.
Malgré la panique, ce sont de bons moments... quand je remonte
à bord.
La douche tiède à profusion, quel délice ! Je ne
pourrai plus me passer du dessalinisateur à bord.
Nous sommes toujours en régime anti-cyclonique avec des brises
côtières. Au mouillage, lorsque le soir arrive, la brise
qui venait du large faiblit. Lentement, le soleil disparaît derrière
les collines. Le vent devient nul. Le temps s'arrête. C'est l'heure
bénie du mouillage, celle du hamamc. Progressivement, la nuit s'installe,
une brise légère pousse le nez du bateau vers le large.
On tourne doucement autour de l'ancre. Lorsque la nuit est tombée,
la brise de terre s'installe. Les odeurs chaudes de la terre envahissent
le navire. Odeurs d'humus, senteurs des arbres, parfums des algues.....
ou de plages... Le bateau se met de travers. On va subir la houle pendant
une petite heure, se faire un peu bercer. La nuit tombe, la terre se rafraîchit.
En même temps que la lune monte sur l'horizon, la brise de terre
s'organise. Sympathique bouffée d'air frais qui va mettre le voilier
le nez vers la plage et le restabiliser. Il trouve ainsi sa position de
nuit, sage et calme. La lune peut continuer sa course vers l'ouest. Nous
on est paré pour dormir au frais.
Depuis Porto Fraïlis, Passo de Quirra, Cala Pira, Baie de Carbonara,
nous avons toujours trouvé des endroits protégés
de la foule estivale et favorables aux mouillages forains. 
J'adore la Mer Tyrrhénienne. Il y a plein de mouillages aussi isolés
que jolis et d'une tranquillité !
Peut-être trouveriez-vous que ça manque un peu de bars...!
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Dimanche 17 août 2003
Nous sommes arrivés à Cagliari le soir du 15 août
en espérant bénéficier de places au port, (la plupart
des vacanciers finissent leurs vacances à cette date), et en pensant
que nous profiterions de quelque festivité locale organisée
dans la capitale de Sardaigne. Les ports sont quasi-vides et la ville
aussi... Festivité ? Où donc ?
C'est une très jolie ville, dont la partie ancienne est construite
sur la falaise. Les remparts sont intégrés à la roche
et c'est vraiment magnifique. Nous avons fait le chemin touristique comme
il se doit.
On enfile des ruelles tortueuses qui débouchent sur de chouettes
esplanades, il y a quantité de chapelles, de basiliques, très
fréquentées par les locaux. Les sardes sont certainement
très pieux.
Je dois signaler la cathédrale Santa Maria vraiment merveilleuse
où nous avons déambulé plus d'une heure subjugués
par les plafonds, les murs, les petites chapelles et le musée.
De l'art baroque à profusion, plein les yeux... Dans la basilique,
c'était l'heure du culte. Elle était pleine de pieuses personnes
très endimanchées. Le curé débitait de l'italien
dans son micro. Des papillons de toute les couleurs voletaient autour
des têtes plongées dans le recueillement le plus total. Mais
ce n'était pas des papillons. C'était le mouvement des éventails
que les femmes s'agitaient d'un geste mécanique sous les narines.
Etonnant, cette ambiance de messe. Si j'avais été le curé,
ça m'aurait vraiment dérangé ce mouvement permanent.
Les gens ici font grand usage de l'éventail, même à
l'église...
La plus grande surprise c'est que tout, absolument tous les magasins étaient
fermés, on était samedi, mais il semble que ce soit la tradition,
dès qu'il y a une fête de fermer boutiques, banques et services
administratifs une semaine. Un peu comme au Cap Vert. Quelques rares bistros
ou restos... On a quand même pu boire un coup !
Nous avons choisi le plus petit port de la Marina, un peu au hasard, nous
avons bien fait. Il était sympa et pas cher. Je vous le conseille
vivement, Marina del Sole, 24 euros la nuit, tout compris.
Lundi, 18 août 2003
A quelques milles de Cagliari, nous replongeons dans la vie sauvage. Nous
avons passé une nuit à Capo di Pula, au bord du village
antique de NORA. C'est un site qu'il ne faut surtout pas louper. Une ville
romaine toute entière a été mise à jour. Elle
s'est développée sur plusieurs périodes, de L'année
100 à 600 avant JC. On y retrouve les fondations des maisons, quelques
murs qui donnent une idée de l'organisation de la cité,
les thermes sont facilement identifiables, un temple avec 4 magnifiques
colonnes en marbre gris et des rues magnifiquement pavées. Drôle
de promenade, à la nuit tombée. Le mouillage avait un petit
air d'outre tombe. J'ai beaucoup aimé cette ambiance unique. J'étais
troublée. J'ai rêvé de ces pierres et mosaïques
encore visibles sur les pavés, et je ne savais pas quoi répondre
à cette question :
-Mais pourquoi les Romains ont-ils pris l'habitude de construire des ruines
?
Toutefois le mouillage à Capo di Pula a été très
agité pendant la nuit et nous sommes contents de lever l'ancre
dès qu'une petite brise nous caresse les oreilles.
Cap sur une autre crique de rêve. Malfatano.
Nous sommes à l'extrême Sud de la Sardaigne. Nous n'avons
qu'une douzaine de milles à faire. Heureusement car le vent nous
lâche très vite. On avance petitement au moteur, et la houle
est pénible. Le paysage évolue; On quitte les longues plages
de sable bordée de bosquets verts. La roche reprend sa place et
tombe dans la mer. A Malfatano, nous retrouvons le site que nous aimons
le plus. C'est une sorte de calanque prisonnière de caillasses
et de collines d'où dévale un courant d'air bien agréable.
La houle est coupée par les rochers qui bordent l'entrée
du mouillage. Laurent n'a plus mal au dos.
Lorsque le soir tombe, les rares embarcations venues s'expatrier ici retournent
à leur port d'attache. Lune de Miel passera la nuit avec deux autres
voiliers largement à l'écart de notre ancre.
Le tourisme à terre paraît très intense. Beaucoup
de plages sont saturées de parasols. Mais ce monde-là ne
nous concerne pas. Rares sont les touristes qui viennent de l'étranger.
Même au niveau de la navigation. Presque tous les équipages
sont italiens, même quand le bateau est immatriculé en France
(Ajaccio, Nice, Antibes...). C'est même très fréquent.
Nous ressentons assez fort, l'identité Sarde et l'écart
qu'il y a entre entre cette île et l'Italie. On nous a dit plusieurs
fois,
"ici c'est interdit, ici c'est payant.... nous devons en tenir compte
; nous sommes Italiens. Mais vous vous êtes étrangers, on
vous laissera en paix.
Il est vrai que les autorités, les bateaux de douanes qu'on croise
nous laissent une paix royale. Serait-ce vraiment différent si
on était Italien ?
Cet échange aussi est significatif dans une boutique :
- Est-ce que vous parlez Français, ou anglais ?
- Non Sarde, mais bilingue.
- ?
- Si bilingue, le Sarde et l'Italien...
Prochainement remontée vers le nord de la Sardaigne par la côte
Ouest....
Janou B
Suite......
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