jeudi 28 août 2003 . 7 H 15
Nous quittons la cala Tramariglio de la baie de Porto Conte juste après
une dernière météo du large. Qui confirme celle de
la veille. Un vent idéal bien soutenu pour faire route vers le
nord, des orages tout autour du bassin, d'éventuelles rafales sous
orages... Pas de quoi bouder une navigation au portant, a décidé
le chef de bord, et je lui fais confiance.
Des états d'âme un peu confus, je ne suis pas parfaitement
réveillée mais je suis quand même à la barre,
en robe de chambre et en chaussettes pendant que Laurent pour une fois
relève le mouillage. Il a envie de bouger. IL est plus joyeux que
moi. La navigation à venir le remplit d'impatience. Je reste à
la barre et peu à peu mes yeux s'ouvrent tout entiers. Nous longeons
lentement au moteur la magnifique falaise d'au moins 60 mètres
de haut qui borde le cap Cacia. Le site est tout bonnement extraordinaire;
Nous nous offrons le luxe de louvoyer à travers les îlots
semés le long des murailles de grès. Les roches ont des
découpes troublantes. Lorsqu'on les approche de travers, de drôles
de têtes nous font des signes de bon augure, un rien de notre imagination
les anime.

Mais lorsqu'on les frôle de plus près les nez s'applatissent,
les sourires se fondent dans les ombres de la roche, la barbe, les sourcils
hirsutes se confondent avec les cailloux... la pierre redevient pierre,
solitaire, inerte et silencieuse. Le soleil encore bas dans le ciel diffuse
une lueur rose. Tout dans ce monde minéral est merveille.
Imperceptiblement, notre route vers le nord nous éloigne de ce
site. Mais il n'y a pas un pet de vent et même à vingt milles
des côtes, alors que la Sardaigne se dissout à l'horizon,
le moteur ronronne toujours. Laurent a envoyé le foc, histoire
d'optimiser notre vitesse. On gagne ainsi un demi noeud, on avance donc
tranquille à 5 noeuds et un peu plus...
A trente milles des côtes, ça se complique car le vent du
nord des jours précédents à levé une houle
sérieuse en mer. On se prend les vagues de travers, le courant
nous relentit... et nous sommes gravement secoués. Question confort,
c'est pas ça du tout. Et le vent promis, soutenu, sud ouest, il
souffle à moins de 6 noeuds... Restons patients, peut-être
que cette brise de force 3 à 5 sera là dans l'après-midi...
Pour tuer le temps,
chacun son truc. Moi je me cale avec un coussin dans le dos dans le cokpit
je rêvasse en admirant les vagues. Dommage, il n'y a pas un animal
en vue. Les puffins me manquent. Laurent joue avec ses leurres, ses fils
et son moulinet... La mer est bien jolie mais elle m'ensuque quelque peu.
Laurent me réveille en sursaut.
- Hé regarde, le repas de midi...
- Quoi, le repas, t-as déjà faim.
- Non, mais c'est moi qui régale. On va manger poisson.
Un joli poisson inconnu finit de frétiller dans l'épuisette.
Il nous fera un repas, goûteux, délicat, inespéré.
Elle a du bon à ce moment là, le mer.
On se traîne dans la houle, le moteur ronronne toujours. La mer
s'agite de plus en plus, c'est de plus en plus inconfortable. Dans l'après-midi,
elle dresse sa chevelure blanche tout autour de nous. C'est une vilaine
vieille désordonnée. De temps en temps le pilote automatique
est dépassé par les évènements, on part au
lof, on accélère d'un coup... On est un peu bousculé.
Laurent devient vaseux... Vite le radical traitement du docteur Belge...
Une heure plus tard, c'est moi qui suis malade, j'ai droit aussi au remède
anti mal de mer de nos amis Belges. Remède vraiment miracle.
Nous redevenons tous les deux actifs, joyeux, réveillés,
détendus... Même on joue à Pyramide et on rigole de
bons coups. On ne subit plus la houle, on s'y adapte. La nuit tombe vers
20H30, toujours de la mer, et toujours pas de vent. Des crêtes qui
nous malmènent de temps en temps. Juste pour pas qu'on s'endorme.
C'est une nuit grise, sans lune et sans étoiles car le ciel est
très couvert. N'oublions pas que des orages nous sont promis. Je
redoute une bien longue nuit. Je regarde progresser l'ombre à l'horizon,
et le miracle se produit à 21 heures, d'un coup notre foc se gonfle
magnifiquement et on fait un bond à plus de 7 noeuds.
Youpi, on envoie la grand voile. On est vent arrière, mais le vent
pousse bien et malgré la houle toujours chiante avec des creux
de 1,50 à 2 mètres très rapprochés, on avance
enfin de manière sympa.
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La nuit nous inspire, et nous n'avons envie de dormir ni l'un ni l'autre.
On pense à l'avenir, à notre avenir, comment l'organiser
pour continuer ensemble. On parle des prochains voyages, on imagine ce
qu'on fera de Lune de Miel... C'est la nuit, alors c'est normal, on rêve.
C'est génial de rêver ensemble.
Vers minuit ça se complique. Le vent a sérieusement forci,
le pilote a du mal à tenir le vent arrière, on file quelquefois
sur les crêtes à 8 noeuds. Laurent décide de prendre
2 ris. On réduit ainsi notre grand voile de presque
moitié et bien entendu on roule aussi un peu du foc, question d'équilibre.
Laurent chausse ses tennis, il se ficelle à son harnais. Avec la
laisse qui lui pendouille derrière le dos, il s'arrime au pied
du mat. Il est mignon comme tout avec son joli gilet rouge.
J'allume la lumière du pont. Je déteste cette lampe crue,
qui nous éblouit. la nuit devient toute noire. C'est effrayant.

Mais faut bien réduire si on veut rester maître du navire.
Je me mets face au vent et Laurent fait descendre la voile. Et là
les soucis commencent. Je suis à la barre, et j'ai du mal à
rester face au vent, à cause de la houle qui m'embarque de temps
en temps. Je ne m'occupe pas trop de ce que fait laurent. Et je l'entends
brailler.
- M....... il est descendu ou pas le premier ris ? Oh, réponds
moi !
- Je suis sous le bimini à la barre, je la vois pas ta bosse de
ris.
- Essaie de voir, c'est laquelle que je dois tirer, la verte ou la bleue
?
Je récite, ça fait partie des bases que j'ai apprises par
coeur quant à l'organisation de ce voilier.
- La première c'est la verte, la deuxième c'est la bleu.
- Bon, c'est laquelle qui descend quand je tire, la verte ou la bleue
?
- Je sais pas, je ne reconnais pas le bleu du vert, c'est pas nouveau
et ça te fais rire d'habitude. Pas la peine de s'énerver.
- Dis-moi si ça vient ou si ça vient pas.... J'y vois rien
moi.
- Non y'a rien qui vient, tire encore...
- Et là, ça vient...
-.....
- M.... vas-tu me dire si ça vient ?
- Je peux pas te dire que ça vient puisque ça vient pas.
Ta deuxième bosse de ris, elle coince. Je ne sais pas si elle est
verte ou bleue, mais elle ne veut pas venir...
Dans le rôle de l'idiote empotée j'ai été géniale.
Trois quart d'heures ça a duré ce cirque. Finalement, presque
une heure du matin, la grand voile est enfin réduite. Laurent se
déssaussissonne de son harnais. Ouf !
Enfin, j'éteins la lumière du pont; On retrouve le clair
obscur de la nuit sans lune. Il n'y a que l'écume bleutée
au ras de l'eau pour nous éblouir. On y voit un peu. Je me sens
mieux. Aux voiles d'entrer en oeuvre.
Et le bateau ralentit, 5 noeuds, 4 noeuds, 3 noeuds...
- Qu'est-ce que tu fais, on s'arrête ?
- Ouhai, désolée, je crois qu'il n'y a plus de vent.
Les voiles battent tout ce qu'elles peuvent et la houle recommence à
nous chahuter. Si vous pouviez voir notre air éccoeuré !
Moteur ! On roule le foc, on borde complètement la grand voile;
Mais ce n'est pas possible, la houle est trop profonde, les vagues trop
courtes et la bôme passe sans arrêt d'un bord à l'autre
avec des grincements effroyables.
Hé oui, Laurent, tu vas de nouveau chausser ton gilet rouge pour
affaler la grand'voile et moi je vais encore stresser pendant une plombe
parce que la lumière du pont nous éblouit et que nous n'avons
pas la moindre idée de ce qui passe sur notre route.
- T'en fais pas, on n'a pas croisé l'ombre d'un navire depuis ce
matin. Et la voie est libre.
La manoeuvre d'affalement cette fois est rondement menée. C'est
raparti, voile ferlée et moteur. On maintient difficilement nos
5 noeuds avec la houle qui nous freine et nous bouscule toujours. Les
nuages s'effilochent sous les étoiles et n'augurent rien de bon.
Nous sommes seuls et abandonnés dans une nuit qui se traîne.
Vers 5 heures du matin, Laurent dort depuis une heure.On change soudain
d'allure. Je déroule le foc pour soulager le moteur et on accélère.
Laurent a du entendre le roulement du winche car il se réveille.
Chouette on va couper les gaz et réinstaller la grand voile.
Zou, c'est reparti.
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On avance à 7 noeuds, allure de largue, avec une mer moins
contrariante mais toujours très houleuse.

Je dors depuis une heure, le jour est à peine levé.
- Vite viens m'aider, j'ai une super touche.
Je tombe de la couchette en ronchonnant, mais pas longtemps. La touche
est géniale. Une superbe daurade coryphène. Ca c'est une
excellente journée en perspective non ?Dure journée pourtant.
La mer se creuse de plus en plus. On avance entre 6,5 et 7 noeuds. Une
bonne allure de largue avec des vagues qui passent par dessus bord et
nous inondent régulièrement. Mais les milles défilent,
c'est ça qu'est bon...
A 15 h30 on entre dans la baie de Port Man. On croit toujours que l'arrivée
au mouillage est le moment béni d'une traversée. En principe
oui, mais ce n'est pas le jour. Le vent d'ouest déboule dans la
baie en rafales très violentes. Notre première tentative
d'ancrage décroche dès que Laurent amorce une marche arrière
de test de résistance. La deuxième aussi. La troisième
est la bonne. Je lâche 30 mètres de chaîne et 20 mètres
de cordage. Laurent tire avec le moteur, impec... On mange les restes
de la daurade et on tombe dans notre couchette avec délice. Dormir,
enfin dormir...
Un mouvement, un bruit, un choc ? Je ne sais pas quoi d'insolite me réveille.
- Laurent t'as entendu ?
Il se dresse dans le lit, les cheveux fripés et les yeux hirsutes.
Pardon, je ne suis pas très claire non plus à ce moment
là. Il sort la tête dehors pour savoir ce qui se passe. Il
a les yeux grands ouverts mais je me rends compte qu'il ne voit rien.
Il se recouche aussi sec.
- Y'a rien, dort tranquille.
Je me rendors instantanément. Bien entendu, instantanément
des coups violents sont frappés contre la coque. Cette fois on
bondit tous les deux en même temps.
- Vous dérapez, il faut réagir, crie un mec sur son canot
à côté de nous.
Effarés, on s'aperçoit que le voilier en tirant sa chaîne
et son ancre est gentiment passé à reculons entre deux autres
navires et tout aussi gentiment mais sûrement glisse sur un troisième.
La dame du bord a déjà ses pare-battages en mains et nous
attend de pied ferme...
Il est 7 heures du soir, la nuit ne va pas tarder à tomber. Comment
faire pour résoudre ce problème de mouillage qui se barre.
On se concerte Laurent et moi. Entendez par là, qu'il se gratte
les cheveux et que je réfléchis. Mais c'est lui qui trouve
la solution. On a 60 mètres de chaîne de secours à
l'arrière, il suffit de remplacer notre installation chaîne+cordage
par ces 60 m. de ferraille. Si ça ça ne tient pas, suicide
collecif.
On a fait l'animation dans toute la baie. Vous imaginez, Sortir de la
cabine arrière les 60 mètres de chaîne pour les amener
à l'avant. Maniller l'ancre là-dessus. Remouiller tout ce
bazar. Une fois que tout est au fond, récupérer l'ancien
mouillage pour le transférer à l'arrière. Y'en a
plus d'un qui s'est demandé qu'est ce qu'on bricolait avec nos
chaînes qui se faisaient traîner de l'arrière à
l'avant, puis de l'avant à l'arrière, sur un voilier qui
faisait des ronds autour d'eux. Epuisant. épuisant, mais efficace.
La nuit tombe lentement. Le croissant de lune descend derrière
les chênes verts. Les rafales parfois couchent le bateau qui tire
sur sa chaîne. Mais nous avons de la longueur, il est pas encore
né le vent qui nous décrochera cette fois. Certain et sûr,
notre nuit sera calme.
On attendra ici la météo favorable, dès que le vent
passe à l'est, pour rentrer tranquillement chez nous.

Nous devrions y être en fin de semaine et pour quelques mois.
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