Estival 2/ lundi 27 juillet, début d'après-midi.
Nous pénétrons entre les somptueuses falaises de Bonifacio. Large
goulet qui nous insinue à l'abri des murailles naturelles du port. Nous
faisons silence, subjugués par ce merveilleux et impressionnant couloir.
Nous décidons de mouiller dans la deuxième calanque de l'avant-port,
la Catena.
Il n'y a que trois bateaux à l'entrée; ça nous paraît
tout à fait sympa et avenant. C'est souvent une aventure de pénétrer
dans une calanque profonde, avec des remparts troués qui dominent. Le
vent s'est levé pendant notre courte navigation et si c'était
une bénédiction du ciel au portant, ça se retourne contre
nous, lorsque le vent déferle à travers le goulet de la calanque.
Impossible de manoeuvrer au ralenti pour poser notre amarre arrière dans
les rochers. Lune de miel dérive par l'arrière, poussé
de travers par les rafales.
Les trois plaisanciers déjà installés hurlent de détresse
pour leur mouillage dans lequel on risque de s'emprisonner. L'un d'eux finit
par sauter dans son zodiac pour venir nous pousser et nous aider à nous
placer convenablement. Son élan nous vautre contre un catamaran que nous
avions choisi comme voisin. Lune de Miel pour ce coup là se montre un
peu trop familier. "Laurent, aide-moi à libérer les préservatoirs,
pardon les défenses, enfin les pare-battages... je voulais dire".
A bord du cata ça taquine et ça rigole. Une bonne équipe
semble-t-il. Qui retient comme elle peut, notre masse envahissante. Ils deviendront
de très agréable voisinage.
Je ne vous conseille pas ce mouillage par temps perturbé. C'est une vraie
galère. Chaque bateau qui se place pose un problème. Car beaucoup
d'autres arrivent en fin de soirée. Laurent fait une vraie police pour
préserver notre mouillage. Efficacité remarquable. Il donne beaucoup
de sa personne, n'hésite pas à sauter dans l'annexe pour prendre
les amarres arrières et conseiller les skippers.
L'un d'eux a acheté son navire en mai. Il a traversé de Toulon,
c'est son premier mouillage.Il est seul à bord. Dure école. Courageux
le mec ! Il paraît qu'il y a des mouillages beaucoup plus abrités
sur la côte est de Bonifacio. Mais c'est loin de la ville.
Et vraiment, une étape à Bonifacio est une étape de rêve.
Une sympathique journée de tourisme en vue. Nous nous offrons un circuit
pédestre depuis la Catena à travers un sympathique chemin, enchevêtrement
de chênes kermesses et de rocailles. Nous longeons l'avant-port face aux
remparts de la ville, puis à l'alignement plus paisible des habitations
tassées l'une contre l'autre. La ville se dévoile au rythme lent
de notre sentier sauvage. C'est vraiment génial. Nous quittons rapidement
l'agitation du port, ses terrasses de bars encombrées et nous grimpons
à travers la vieille ville. Les arceaux des églises s'appuient
sur les murs des habitations voisines. On dirait que les maisons se tiennent
bras dessus, bras dessous... Généreux et magnifique. Bien que
harcelée de touristes, c'est une ville intime, tranquille et sympathique
que nous retrouverons dans la chaleur adoucie du soir. Nous décidons
qu'il faudra y revenir. En moto peut-être ?
Pendant ce temps là, la météo se dégrade dans le
golfe du Lion. Je crois que Karine et Jo seront sous l'emprise d'un grand coup
de vent le prochain week-end.
Samedi matin, 29/07/06.
Nous profitons de la météo houleuse qui se répand vers
la Provence puis vers la Corse pour prendre le départ vers la Sardaigne.
Très confortable avec toute la toile. C'est super. On taille notre route
entre les îles à 7/8 noeuds. Plus de 30 milles à parcourir.
Faut pas lambiner. Début d'après-midi, des pointes à plus
de 8 noeuds, ça déboule sec. La circulation est intense, surtout
autour de Porto Cervo.
Peut-être qu'on devrait réduire. Nous sommes d'accord pour deux
ris et réduction idoine dans le génois. On retombe à 6
noeuds. C'est nettement plus calme et plus sécurisant. Après tout
on n'a pas le feu aux trousses.
Deux heures avant l'arrivée à la Cala Volpe, notre allure passe
au prés très serré. Ouf, quelle bonne idée la réduction.
La mer s'est sérieusement levée. C'est assez sévère
comme navigation. On fait du rodéo, je déteste ça. On pose
notre mouillage dans une agitation phénoménale, secoués
comme des pruniers. Le vent s'affiche à 33 noeuds. C'est seulement lorsque
nous sommes à l'abri de notre cockpit, dansant au bout de 40 mètres
de chaîne et notre apéro aux lèvres que nous prenons le
temps de nous étonner. Il y a dans le mouillage deux voiliers un peu
en avant de nous, et tout autour nous sommes cernés par des yachts, vedettes,
et autres bâtiments de cet acabit, trois ou quatre ponts minimums, autant
de salles à manger, de séjours enluminés comme des arbres
de noel. Les pilotes des annexes, esclaves civilisés en fin costume,
chemisette et pantalons courts, font d'incessantes navettes entre la terre et
l'un ou l'autre de ces riches bateaux. Pavillons de Malte, des Grenadines, d'Anglerre
ou Hong Kong... Fréquentations inattendues pour Lune de Miel qui n'a
plus qu'à bien se tenir dans son petit soulier, comme dirait Tino le
Corse.
Mercredi 2 aout 2006. Route vers le sud.
Le coup de vent s'étale sur toute la méditerranée. Progressivement
il déborde vers Magdalena puis Carbonara. Nous traçons notre route
le long de la côte, quelquefois en tirant des bords selon les caprices
des brises qui se conjuguent de plus en plus avec le vent du nord ouest dominant.
Nous faisons entre 30 et 40 milles, par jour, pour 25/30 à vol d'oiseau.
Certains caps se passent laborieusement. On s'abrite le soir et on repart le
jour suivant après la météo de 9h30.
Toujours vers le sud.
Au départ c'est toujours calme. L'allure est au travers dans la sérénité.
Lune de Miel est en parfaite harmonie avec la mer. Il donne l'impression d'effleurer
les vagues. Les sommets de Sardaigne nous dominent, ombres et lumières
de la côte, et la mer scintille. Le puffin de méditerranée
nous fait de courtes visites. Sait-il que je le guette, qu'il m'éblouit
avec son costume tout moiré ? Comme son grand cousin d'atlantique, il
joue avec la houle, la froisse d'un léger mouvement d'aile et remonte
en quelques battements pour se laisser planer au ras de la mer. Il paraît
aussi doux, aussi léger que l'écume qu'il caresse. Cet oiseau
m'imprègne d'un bonheur tendre et profond. Voilà, ils sont deux,
ils se croisent et se parlent. Ils plongent ensemble, se laisse dériver
au ras de l'eau. Nouvels élans d'ailes, courts et délicats. Ils
dessinent leurs immenses arabesques dans le ciel puis reviennent faire du charme
à Lune de Miel. Notion d'éternité. Le temps se fige
.
Début d'après-midi, le vent passe à l'ouest et se renforce.
Il faut que Lune de Miel prenne le dessus. Il creuse son passage en force. La
mer ne veut pas s'aplatir pour lui. Le chuintement intime des vagues contre
la coque se transforme en chocs plus secs. On dirait même que ça
rebelle par moment. Comment ça, la mer était d'accord et demandait
qu'à nous aider et le vent se refuse. Changement d'allure et de vitesse.
De 4 à 5 noeuds nous passons à plus de 8, le bateau bondit, se
couche... On cramponne la barre à tour de rôle. Des hordes de moutons
se précipitent depuis la côte, la mer devient de plus en plus écumante
vers le large. Elle se frise de blanc.
Et si on prenait un ris ! Ce n'est pas trop tôt et ce n'est pas trop tard.
Laurent en prendra deux. Réduction de génois adaptée. Ouf
! La mer se creuse. Heureusement la houle nous pousse, et nous fait gagner plus
d'un noeud en vitesse. Quelquefois un peu de travers par facétie, quand
on s'y attend le moins. On chahute sur la mer, ou la mer nous chahute, je ne
sais pas trop. Nouvelle allure de rodéo et je ne m'y fais pas. Si on
se raproche de la côte peut-être que la mer sera moins houleuse,
le vent moins hurleur ? Virement de bord. L'écoute est passée
je ne sais comment derrière le rail d'écoute de grand voile. Lorsque
Laurent est prêt pour virer, elle se déroule un peu brutalement
autour de ma cheville. Je m'en rends à peine compte. Notre manoeuvre
exige une attention extrême.
Trois jours de suite, nous naviguons ainsi. Nous mouillons dans des conditions
difficiles, à l'abri de la houle mais souvent pris dans les violents
courants d'air qui déboulent des montagnes sensées nous protéger.
Nous sommes seuls sur 3 ou 4 km de plage, on peut aligner la chaîne. Le
vent nous hurle aux oreilles, mais le navire est stable.
Anecdote de mouillage. Pendant la nuit, le vent tombe et notre petit déjeuner
est toujours très serein. Tout en sirotant mon café, je remarque
à tribord un truc bizarre, une sorte de tube noire, qui flotte à
quelques mètres du bateau.
- Laurent regarde, c'est quoi à ton avis ce truc ?
- Pas grand chose, un tuba, y'a peut-être un plongeur qui admire notre
carène.
- Moi, je crois pas, on dirait que ça se laisse dériver.
- Un périscope alors, y'a bien eu chaque jour un hélico qui nous
rasait la voilure. Peut-être que maintenant ils envoient un sous-marin
pour nous espionner !
- Et si 'était une fortune de mer intéressante, on va voir avec
l'annexe ?
- Franchement j'ai pas envie de me remettre à l'eau. C'est rien, d'intéressant,
c'est si petit.
C'est à ce moment là qu'un raclement sur la plateforme arrière
nous surprend. L'une de nos rames entraînées par le tanguage (et
que nous avons oublié d'attacher en revenant de la plage) glisse discrètement
à la mer. D'un bond efficace, Laurent la rattrappe in extrémis.
- Zut où est la deuxième ?
- Hé, tu sais, le périscope à babord qui se laisse dériver
vers le large ce serait pas...
plongée immmédiate de Laurent dans l'annexe, avant que j'ai eu
le temps de réaliser. Joli sauvetage de rame. Cet homme si vif m'épatera
toujours.
Vendredi matin, 4 aout 2006,
derrière l'île de Chirra. La météo nous décourage.
La navigation sportive n'était pas au programme de cette croisière.
Nous décidons de rester ici, bordure du cap Lorenzo pour la journée.
Super, si je jetais un oeil sur ma cheville. Elle me taquine vilainement depuis
au moins deux jours et comme je dois me démancher le cou pour voir l'arrière
du pied je n'ai pas pris le temps. Douche copieuse, Je frotte mon pied droit
mais pas trop fort, ma cheville droite est bien douloureuse. Zut alors, regarde
Laurent, elle est enflée.
Allo Docteur !
C'est pas beau à voir. J'ai été dépiautée
sur une large surface jusqu'à l'arrière du pied et des bizarres
boursouflures jaunâtres cloquent sous ce décor rouge très
vif. Pour un peu je verrais des étoiles ! Pas d'affolemement. Nous avons
ce qu'il faut à bord. Laurent me lave soigneusement tout ça à
l'antiseptique. Je ne bronche pas, vous vous souvenez que je suis héroïque
quand je veux. Après un pansement tout propre, j'ai même plus mal.
Demain nous espérons passer le cap Carbonara (tiens ce serait de là
que viennent les pâtes...). Nous attendrons là-bas, la météo
idéale pour traverser le canal de Sardaigne direction la Sicile.
Un peu plus de 150 milles à prévoir, une trentaine d'heures. Je
vous en parlerai dans mon prochain message.
N B / c'est loupé pour le sud de la Sardaigne. La météo
se dégrade. Le coup de vent de Provence se généralise à
toute la méditerranée (force 9 annoncée et creux de 4 mètres...
possible ça ?). Une dépression se déplace de Provence vers
La mer Thyrénée, coup de vent au sud... Pas la peine d'y aller.
On se concerte dans la soirée.
Si nous partons demain matin, nous resterons dans un couloir intermédiaire
entre le coup de vent de l'ouest et la dépression qui se développe
au sud avec des vents de 15/20 noeuds. Au portant ça nous dit bien. Changement
de nos plans. Départ direct demain matin pour la Sicile. Le réveil
est prévu à 6 heures pour un départ avant 7 heures du matin.
Depuis la Sardaigne, les cyber café n'autorisent que la consultation
internet. Les lecteurs externes sont verrouillés. Donc impossible de
transmettre les coucounets.
Si vous recevez ce message c'est que nous sommes arrivés en Sicile.
Détails au prochain courrier. A +++ JanouB