Estival 2006 / 4 Malte Lundi 14 aout 2006.
Nous quittons Licata toute endormie à
6 heures du matin. La nuit s'estompe pour faire place à une lumière
voilée. Emerveillement fugitif. Il s'agit de prendre le cap, faut pas
mollir, car le vent ne nous aidera guère. Moteur, moteur, moteur même
si de vagues courants d'air nous permettent de maintenir une vitesse régulière
à 5,5 noeuds sans rouler des mécaniques que l'on maintient à
1600/1800 tours. Largement suffisant pour nous assourdir les oreilles au bout
de quelques heures.
Si vous faites cette route de nuit, vous ne risquez pas de vous endormir. Le
trafic est énorme. Nous croisons des tas de ferrys, cargos et autres
navires qui font route d'Ouest en Est. Ca trompe la monotonie du moteur qui
n'est vraiment pas distrayante. Nous ne pouvons pas non plus compter sur les
prises de Laurent qui a replongé ses lignes dès le départ.
Niet poisson.
Vers 18 heures nous longeons les premières îles de Malte qui se
confondent depuis la mer, Gozo et Comino. Une salve de tirs nous accueille sous
les falaises de Gozo. Surprise ! ça nous paraît bien de l'honneur
mais pourquoi pas ? A y regarder de plus près, on a l'impression que
des feux explosent dans le ciel. Un feu d'artifice à 5 heures du soir,
en plein jour... Ils sont fous ces Maltais.
Laurent a décidé de mouiller sur la côte nord de Malte dans
le canal entre les îles. Nous longeons des reliefs archi secs, caillouteux,
désertiques, bordées d'immenses falaises. Mais plus nous approchons
de la côte, plus nous sommes estomaqués.
Approchez-vous de l'anse pour y mouiller.
Etes-vous certains d'avoir envie de vous y abriter?
C'est une zone de cabanons sordides, branlants et miteux envahis d'un peuple
qui se marche les uns sur les autres. InouÏ. Changer de mouillage ? Trouver
plus exotique ? Jetez un coup d'oeil circulaire, c'est partout la même
côte. A l'arrière des terres, des chapelles, des cathédrales
aux dômes colorés et immenses écrasent les immeubles populeux.
Pas idéale comme vision mais on est saturé de nav au moteur. ok,
restons-là ce soir. Il fera nuit dans deux heures, le mouillage est calme...
Si les résidents de la zone s'agitent en soirée, nous avons des
boules quies...
Lorsque la nuit tombe, de nouvelles salves jaillissent sur les sommets. Pas
de doute, ce sont des feux d'artifice. A terre une multitude de braseros s'allument,
ça crépitent aussi au sol. Des odeurs de grillades nous tombent
dessus avec la brise de terre... Ouha, que ça sent bon ! Si c'est comme
ça, nous aussi on va cuisiner à bord. Nous avons acheté
un rôti avant de quitter Licata, des légumes frais... Des grosses
aubergines rondes et violacées très tendres, des longues courgettes
toutes maigres en forme de crosse au bout. Quelle touffée ça va
faire.
Les familles qui festoient devant leur cabanon sont d'une discrétion
remarquable. Pas un cri, pas une radio... Si ce n'était l'aspect délabré
de la terre, ce serait un mouillage de rêve. Que nous réserve Malte
?
Samedi 19 août 2006
Côte ouest et côte nord. Les anses sont peu éloignées
les unes des autres. Ce sont quelquefois de vastes baies, bordées d'immeubles
dont on ne saurait dire s'ils sont en construction ou en démolition tellement
les murs sont délabrés. Rien de fini, ça pousse n'importe
comment, pas l'ombre d'une verdure, pas un arbre, rien que de la pierre en ruine
et du béton qui s'effrite. Un peu à l'écart, quelques hôtels
plus ou moins colorés, paraissent bien luxueux dans ces ensembles qui
bouffent tout le littoral. Les plages sont bondées, bruyantes, tout s'y
mélange... baigneurs hasardeux, plongeurs en tuba, scooter de mers, canots
de pêche, hors-bords qui tirent des skieurs, des ballons qui planent,
barcasses touristiques pleines à sombrer... Le problème c'est
que les baies sont immenses mais rocheuses avec des parois à pic, les
plages sont au fond et minuscules, vraiment saturées.
Dès 5 heures du soir, les plages se vident en une heure et là
l'ambiance devient très sympa. Quand un bar à karaoké ou
un dancing ne se met pas à hurler jusqu'à l'aurore. Les bars alternent
les festivités, un soir karaoké dancing, un soir bingo... Le bingo
est ici le sport intellectuel le plus prisé. Chaque soir, où qu'on
soit si c'est à proximité d'une agglomération, on s'endort
avec la litanie des chiffres annoncée en anglais... Pas pire que de compter
des moutons ...
L'une de ces anses très isolée de toute urbanisation est toutefois
fort sympa. Paradise Bay. Hôtel de grand luxe à gauche avec l'embarquement
des navettes pour les îles voisines. Falaise inaccessible au fond, et
toute petite plage familiale à droite. Deux jours de plénitude
totale, seuls dans le mouillage dès la fin de l'après-midi.
Les autres mouillages peuvent être très agréables à
condition de se tenir loin des plages, des villages qui les bordent et des embarcations
sur corps morts qui envahissent les fonds. C'est toute une science mais on capte
vite, c'est une question de survie.
Lorsqu'on approche de la capitale Valletta nos yeux se sont habitués
à la vision déprimante des zup qui s'étalent à perte
de vue. On hésite quand même à s'y arrêter. Mais on
a grande envie de visiter. Quelle approche. La mer entre en méandres
dans la terre, comme des lacs qui se seraient infiltrés dans la ville.
On zone pendant deux heures d'une poche d'eau à l'autre en espérant
y trouver un mouillage. Il y quantité de ports, de chantiers, d'ateliers,
de corps morts...
Mouiller
par là paraît bien hasardeux. Finalement, on trouve une place dans
le lazaret de l'île Manoel. Au port, tout au bout du quai, loin de la
ville sauf qu'elle sévit sur l'autre rive, la rumeur est acceptable.
Nous avons appris depuis, que les feux d'artifices sont une tradition "chrétienne".
Une fois l'an, chaque paroisse fête son saint en grandes pompes. Vu la
multitude de paroisses, de chapelles, d'églises et basiliques qui ont
germé sur l'île, ça tire les feux de tous les côtés
et tous les jours. Des feux qui ponctuent les différents moments liturgiques.
Et ça commence aux matines... Ces explosions permanentes et régulières
rappellent avec un réalise saisissant l'ambiance guerrière des
temps anciens. Ici tout est imprégné de l'ancien temps. Des temps
très reculés d'avant JC, du début du christianisme et des
temps plus proches qui parlent fort de pèlerinages et de Princes chevaliers.
Diantre, nous sommes à Malte !
Nous sommes restés trois jours à Valletta le temps de flâner
dans la ville historique vraiment formidable. Le temps de louer une voiture
pour découvrir l'intérieur des terres. C'est tout aussi délabré
que la côte, peu de végétation, quelques terres qui tentent
d'arracher des légumes rachitiques à la roche. Des routes défoncées
que nous appellerions des chemins vicinaux. Nous sommes allés débusquer
le plus haut village de l'île, (environ 230 mètres), rigolez pas,
vu l'état des routes il fallait bien du courage.
Le tourisme intérieur est magnifique. Les villages ont des allures médiévales.
Ils se protègent derrière de magnifiques remparts, et les églises
et les chapelles se disputent l'histoire avec les ruines antiques.
La vie quotidienne n'est pas coûteuse. On fait ses courses dans des petites
boutiques. Les légumes sont vendus sur le bord des routes, des camionnettes
qui se déplacent. Sorte de marchands ambulants. Il n'y a pas de grosses
unités de pêche comme en Sicile. Juste des petites barcasses sur
corps morts qui encombrent le moindre mouillage.
Si on veut manger du poisson ici, c'est de l'animal domestique. Les fermes sont
installées le long de la côte un peu partout. Le moral de Laurent
remonte illico, il ne s'étonne plus de ne rien trouver au bout de ses
lignes pas même une petite poiscaille malodorante.
Mais
pour les voileux la vraie merveille de Malte ce sont les deux petites îles
qui lui font face, Comino et Gozo. Des petites criques peu fréquentées
car bordées de hautes falaises. Quelques embarcations viennent mouiller
là pour la journée, des promène- touristes aussi. Mais
leur qualité à Malte, c'est d'arrêter de bosser à
16h30. Ils n'envahissent pas longtemps les calanques. A 17 h, les mouillages
se vident et le soir nous restons deux ou trois bateaux pour garder le site.
Il nous est arrivé d'être seuls avec juste les grondements des
feux d'artifice qui pètent toujours quelque part.
Si vous rêvez de longues plages de sables bordées de cocotiers,
c'est pas du tout par ici.
Mais si vous rêvez de mouillages déserts, isolés, planqués
derrières des falaises, aux portes de grottes étranges, alors
c'est vraiment un endroit pour vous. Lorsque vous voulez revenir à la
civilisation, l'encombrement de la ville, vous replonger dans votre passé
historique, vous trouverez à Malte de quoi vous délecter.
Il y a à Comino un site fantastique,
Blue Lagon. On mouille à l'entrée de grottes mystérieuses.
Moi, j'aime pas les trous sans fond.
Mais Laurent est un mec, donc curieux et aventureux... comme vous devez vous
en douter.
- Allez, viens avec moi, on entre à la rame, ça craint pas. Que
veux-tu qui arrive ?
- Je sais pas moi, une vague déferlante qui nous brise à l'entrée
de la grotte, une brutale montée des eaux qui nous étouffe à
l'intérieur..
- Pourquoi pas un monstre marin qui surgit tant que tu y es...
- C'est bon, je viens ramer avec toi, mais on reste à l'entrée,
d'accord.
- D'accord !
Tu parles ! La lumière joue à travers la roche. Des reflets turquoises
et dorés dansent sous les roches. Et tout au fond de cette chambre marine,
une lumière... Donc on y va... J'aimerais mieux pas, mais bon, la curiosité,
ça c'est moi aussi... Merveille des merveilles, on longe un couloir qui
s'arrondit. Il y fait très sombre mais la lumière est au bout,
nos rames grignotent les lignes qui dansent devant nous. Nous admirons les failles
au dessus de nos têtes, les éclats mauves et carmins de la roche,
et la lumière toujours qui nous guide sous une large voute de l'autre
côté du mouillage en plein jour. Allez y dès que possible,
c'est extraordinaires et c'est à Comino. Le soir vous serez tous seuls
pour veiller sur votre ancre.
Mais c'est à Gozo que je m'installerais et nulle part ailleurs.
Il y a sur cette île un endroit caché derrière un énorme
rocher, joli rempart contre la mer, qui cache une anse magnifique.
Un véritable amphithéâtre.
Dwjedra Bay. Le soir nous étions deux voiliers dans cette immense marmite.
Lorsque la nuit est tombée, assis sur la plate forme, nous sommes restés
Laurent et moi seuls sous les étoiles. C'est ce qu'on croyait. Dans notre
abri, la nuit était dense. Soudain des sons étranges ont circulé
entre les failles des falaises. Des cris, des chants, des plaintes ?
-
C'est quoi à ton avis ?
- Des chats peut-être, on dirait des cris de matous
- Et comment des chats survivraient-ils perdus au milieu de l'eau et coincés
dans ces failles ?
- T'as raison, c'est trop violent, trop rauque. Ecoute, Il y a d'autres cris,
comme des vagissements de bébés... C'est peut-être une nurserie
de sorcières d'ailleurs on les entend voler sur leur balai.
- Mais non c'est pas des sorcières. Cherche pas. Ce sont des chats qui
huent.
- ?
La stéréo était parfaite et nos oreilles suivaient chaque
déplacement. Les cris aigus appelaient les cris rauques. Les appels angoissants
répondaient à des chants torturés. Ca fusait d'une paroi
à l'autre, ça s'interpellait et même des fois on aurait
dit que ça s'énervait. Et ça recommençait à
geindre. Un espace bien étrangement habité.
Quelle nuit que celle des chats qui huent sur leur balai.
Mardi 22/08/03.
Ce soir nous nous abritons à Meliha bay car le vent de nord ouest sévit
à nouveau et nous amène une houle pénible à Gozo.
Demain, retour vers la Sicile, une soixantaine de milles, au moteur vraisemblablement.
Ensuite nous remonterons par la côte Est.
J'aimerais tant voir syracu..U..u..se...!
C'est de là bas que je souhaite expédier ce message.
Reparlons-en dans quelques jours. En attendant. Salut à vous tous, à
vous toutes et à chacun pour soi.
Janou B