* Préambule : nous voici à notre deuxième
étape de voyage ; on dirait par exemple que c'est la " croisière
aux Caraïbes ". Toutefois, je ne sais pas si c'est intéressant
pour vous, que je relate cette partie du voyage. Le voyage ici se banalise.
Je comprends très bien qu'un discours en forme de dépliant touristique
puisse n'avoir pour vous aucun intérêt ; je crains que les prochains
coucounets soient de ce topo là.... et encombrent votre boîte
aux lettres. Ce qui me désolerait.
La 3ème étape sera vers le 15 mai, pour le retour. C'est probablement
là une autre sorte d'aventure à la voile ; la route sera très
différente... Voulez-vous être "suspendu" jusque là
?
Y a qu'à demander... Bisous
Janou B
COUCOU NET 10 ème émission
Marina du Marin - mardi 22 janvier 2002
Le Marin, c'est une immense marina, (marinade) parfaitement équipée
où tout est organisé pour l'extrême confort du plaisancier.
Nous sommes surpris d'apercevoir sur le quai toutes les boutiques, tous les
ateliers spécifiques au milieu maritime exactement comme en métropole.
Il faut dire que les pannes sont surtout encombrées par les bateaux
de location. Une armada d'ouvriers aux couleurs de l'agence qui les emploie
circule d'une embarcation à l'autre. Toutefois, il y a quand même
une dizaine de bateaux de passage sur notre ponton.
C'est l'instant d'après notre arrivée. Je hume l'ambiance. Je
suis collée à l'avant du voilier parfaitement stabilisé.
Je n'ose pas bouger. Appuyée contre l'étai, je dévore
des yeux tout ce qui bouge sur la panne et tout ce qui ne bouge pas. Je m'imprègne
de ce sentiment formidable de sécurité totale dont on ne peut
mesurer le confort que lorsqu'on a traversé de durs moments de doutes.
Je voudrais bien que Laurent se dépêche de me rejoindre, pour
partager avec lui mes premiers pas sur la terre ferme. Il met un temps fou
à se "déhotter";
C'est pourtant un moment terrible et il n'y a pas plus urgent comme priorité
à cet instant que de faire quelques pas vers la ville. Franchement
est-ce le moment d'installer le taud de grand'voile à 5 heures de l'après-midi
? Les cordages livrés à eux-mêmes sont en vrac dans le
cockpit, ça fait désordre j'en conviens. J'ai dans la cambuse
des paquets de nouilles dits " nids aux œufs " qui ont exactement
cet aspect. Et alors ? Est-ce que nous n'avons pas tout le temps nécessaire
désormais pour lover tout ça proprement. A terre, il y a des
bars qui ont l'air rudement sympa et un sol merveilleusement stable où
il doit faire si bon poser un pied après l'autre. S'asseoir dans un
vrai fauteuil rembourré, en s'étouffant avec un panaché
pétillant, quel bonheur ce sera ?
Dépêche-toi, dépêche-toi, dépêche-toi...dép....
Enfin il arrive...
J'enjambe le balcon et je suis aussitôt confrontée à ce
problème incontournable des accès à quai qui sont toujours
pour moi de véritables épreuves... Les quais sont toujours beaucoup
trop bas. Les prises sur le bateau pour se hisser sont toujours beaucoup trop
hautes. Pour Laurent qui a de longues jambes, le voilier est toujours très
près du quai. Il craint je ne sais quel mouvement intempestif qui fracasserait
son beau navire contre la panne... Enfin, c'est ce que je suppose car je dois
toujours ronchonner, pleurnicher, insister, formuler d'interminables plaintes,
pour qu'au compte gouttes, il laisse suffisamment de mou dans les amarres
pour que je pose pied à terre sans avoir à sauter héroïquement
dans cet espace qui me terrorise entre le quai et l'étrave du bateau.
Vous vous rendez compte, si je me loupe, que je me vautre dans ce trou d'eau.
Je vais me blesser, gravement ça c'est sûr, je vais crier, me
débattre, affoler toute la panne, peut-être même tout le
port avec tous ces gens si chics. Et pour finir je vais me noyer dans cette
marinade d'excréments , d'eau grasse de moteur et d'épluchures....
A chaque fois que je dois sauter sur le quai, cette affreuse image me traverse
l'esprit.... Laurent m'énerve. Il n'arrive pas à imaginer que
c'est pour moi une véritable épreuve d'enjamber ce maudit balcon
toujours trop haut et tomber sur ce maudit quai toujours trop bas pour mes
petites pattes. Echange de mots invariables :
- Allez on se rapproche du quai, on lâche un peu de pendille d'accord,
aide moi, sois gentil ?
- Pas la peine, vas-y je te tiens l'amarre.
Il se pose en équilibre sur une amarre et appuie de tout son poids.
C'est vrai le bateau a le nez sur le quai. Je peux sauter à terre d'un
tout petit pas rassurant. Mais je ne vais quand même pas appeler Laurent
au secours à chaque fois que je veux quitter le bateau. Quant à
faire ce genre d'acrobatie que tous les plaisanciers pratiquent si facilement,
je ne m'y soumettrai jamais alors qu'il suffit de s'amarrer plus court...
Vous savez combien je suis chiante et têtue et je ne suis pas disposée
après ces semaines de galère à céder. Je veux
avoir la paix et l'esprit tranquille. Je veux pouvoir aller et venir à
terre librement, sans aucune angoisse d'aucune sorte. Laurent finit par céder.
Franchement qu'est-ce que ça lui coûte ? On installe un cordage
doublé sur un winch que je règle à la longueur que je
veux... Et ça c'est magnifique... Je peux monter et descendre quasiment
en marchant, du bateau au quai, du quai au bateau... Je suis enfin une femme
libre. Je peux jouir de la terre.
Le quai est très animé. Une multitude de bars, locations de
bateaux, de boutiques, offrent leurs vitrines qui masquent l'aspect précaire
des bâtiments. Ce n'est pas différent des autres marinas que
nous avons eu l'occasion de fréquenter depuis que nous pratiquons la
voile.
A l'entrée de la capitainerie "tenue correcte exigée"
préconise la porte... Ce n'est pas ce conseil qui me fait éternuer
mais l'air conditionné. Y'a belle lurette qu'on a oublié ce
que c'était la clim... Ces 17 jours en mer nous font l'effet de débarquer
d'un autre monde. Oserais-je avouer que je déchante à toute
vitesse. Suis-je vraiment si ravie de me trouver là. Nous avons choisi
la Marina pour avoir l'eau courante et l'électricité, l'accès
facile aux ateliers pour envisager nos réparations diverses... De l'eau,
je risque d'en consommer pas mal. Notre embarcation a l'odeur et l'allure
d'une porcherie. J'envisage aussi de la lessive que j'évalue à
15 /20 kg à trimbaler dans une laverie. Il faut aussi que je recouse
la bande anti-uv du foc qui se déchire. Laurent doit trouver une ou
des courroies de rechange pour le pilote déficient. Il faut qu'il retende
celle de l'alternateur... Il y a aussi notre sondeur qui ne sonde plus rien
du tout. C'est surtout à cause de lui que nous avons renoncé
au mouillage en arrivant. Tout plein de boulot nous attend ici.
On repère les ateliers qui nous seront utiles, les bureaux administratifs
pour notre entrée en département outre mer. Mais tout cela décidément
est trop artificiel et surtout affreusement puant, affreusement bruyant...
J'ai encore dans les oreilles le fracas de la mer, les agressions du vent,
et je ne suis pas prête à affronter les sonos qui cognent , les
bousculades et les piaillements de la foule en vacances. Nous quittons la
zone " marinade " pour accéder au village.
La plage qui longe le village est animée, bordée de bars locaux
et bien entendu de palmiers. Mais ces énormes fruits verts agrippés
aux branches, sont-ce des " cocos ", drôles de cocottes ces
noix là. Elles sont trois fois plus grosses que celles que nous consommons
à Marseille, elles n'ont pas la forme parfaitement ovoïdes que
nous aimons tant, celle-là ont l'air toutes bosselées. Les nôtres
sont brunes, avec une sorte de coquilles filamenteuse. Rien à voir
avec ces noix là qui sont toutes lisses... Interrogation ? On quitte
les mystérieux palmiers pour monter de toutes petites rues qui nous
permettent de découvrir un bourg qui n'a rien à voir avec l'aspect
aseptisé du quartier maritime. Les ruelles tortueuses sont raides à
monter. Une averse nous surprend qui tombe drue, pas d'abris possible. Mais
au moins si on fait semblant de s'abriter sous un magnifique arbre à
pain, j'en profite pour reprendre un peu de souffle. Je transpire comme c'est
pas possible, je suis épuisée, à cause d'une ruelle en
pente... Nous apercevons une immense façade " Auberge du Marin
", mais une fois devant nous trouvons les volets tirés. De vilains
volets roulants en fer. Un couloir minable est ouvert sur la gauche, une vague
lumière brille au fond. On s'y engage. On débouche sur une espèce
de terrasse couverte très encombrée, étouffante même.
Toutes sortes d'objets sont entassés là. Un homme au teint pâle,
la cinquantaine blanchissante est assis à une table. Il est fort occupé
à bricoler un appareil photo.. Il lève le nez quand on se présente
sur la pointe des pieds.
Laurent devrait dire, " Bonjour Monsieur, la porte de l'exotisme, c'est
où mec ? " Mais il se trompe de texte :
- Bonjour Monsieur, c'est ici le restaurant ?
- Bien sûr vous voulez manger maintenaient ?
Faut dire qu'il est à peine dix huit heures, la question est donc tout
à fait pertinente. L'homme blanchâtre (je parle de ces cheveux,
pas de son teint qui lait aussi) a un léger accent du sud ouest. Ce
resto qui ne ressemble à rien d'attendu nous déconcerte. Pourvu
que ce soit pas un boui-boui. Manquerait plus qu'on s'empoisonne le premier
soir. Laurent répond très prudent.
- On voulait juste savoir si c'était ouvert.
- Pas de problème. A quelle heure voulez-vous manger ?
- Le temps de nous rincer, nous sommes déjà douchés par
l'averse. Mais y'a une salle de restaurant ici ?
Il nous regarde en rigolant, nous montre une autre terrasse un peu plus bas.
Après trois escaliers, Il y a une dizaine de tables en plastique couvertes
de nappes en papier. Les couverts sont mis. Une multitude de décors
(peut-on appeler cela des décors) envahissent les murs de placo à
l'état brut. Des fleurs en plastique dégringolent des murs,
des bouteilles de rhum vides, des masques en bois ou en papiers mâchés,
vilaines figures pas polies du tout, nous font d'horribles grimaces, un perroquet
en plâtre vissé sur une étagère crasseuse, des
affiches immenses concernant des courses à la voile, dont les équipiers
doivent être centenaires aujourd'hui... un vrai bric à brac.
Des ventilateurs brassent l'air étouffant.
- Alors je vous réserve une table ?
Je regarde Laurent. Je vois défiler dans ces yeux l'image des restos
marinas du port. Que choisir, resto modernes proches du fast food ou cuisine
mystère. Quel sera le moins toxique ? Laurent est d'accord avec moi.
- Bon, vous nous laissez le temps de retourner au bateau nous changer. On
revient vers 20 heures d'accord.
- D'accord, mais vous reviendrez ?
- Promis, on revient, après notre douche, vers 20 heures....
Une fois dans la rue, nous sommes désenvoutés. Sommes-nous si
certains de revenir à travers ce corridor miteux. La carte ne nous
a pas paru si mal. Mais le cadre ? Au diable le cadre, au diable le patron
qui n'a pas la couleur caraïbe, c'est plus local que les pièges
à plaisanciers de la marina. Une bouffée d'exotisme est passée.
Nous respirons un petit goût d'aventure.
Les ruelles tortueuses nous reprennent en descente vers la plage et avec une
nouvelle averse. Nous décidons de boire notre premier pot à
l'abri d'un bar sur le sable. Je me laisse enfin tomber dans un fauteuil accueillant.
Je suis terriblement lasse. Il n'y a pas de panaché ici. Je me rabats
sur une espèce de bière au sirop de fraise... Pas terrible mais
agréable cependant. Laurent ne court aucun risque, la bière
pression on en trouve vraiment partout.
Le soleil est revenu. Le chant singulier qui hante les rues du village a repris.
C'est une modulation très douce presque soprano, un très petit
oiseau sûrement. Nous apprendrons plus tard que ce cri est celui d'une
grenouille minuscule, (quelques centimètres) qui s'abrite dans les
herbes humides. Elle est difficile à voir car elle est presque translucide.
Il va falloir ouvrir grand les yeux. La nature s'offre avec opulence mais
aussi se cache quelquefois.
Dans le bar, l'ambiance est chaleureuse, musique locale en sourdine. Les cocotiers
égouttent leurs immenses feuillages sur le sable. Sur la mer qui ressemble
ici à un vrai lac tellement elle est plate, des yoles rentrent au sec.
Au loin, les voiliers du mouillage s'alignent proprement dans le fond de la
baie. L'anse est bordée de collines verdoyantes qu'on appelle ici des
" mornes ". Je suis donc installée au cœur d'une carte
postale.
Ma boisson est fraîche, il fait doux, la vue est reposante, apaisante,
magnifique... Mais que se passe-t-il ici ? On est comme deux qui ne sauraient
pas où trouver ce qu'ils cherchent. Et je me sens mal, très
mal mais je ne sais pas définir en quoi.... L'idée de rentrer
au bateau, me doucher dans l'espace sanitaire du club, repartir à l'assaut
des ruelles pour manger dans un resto plus que douteux... D 'un coup tout
ça me paraît très compliqué, très fatiguant
et inutile. Je n'ose pas le dire à Laurent qui de toute évidence
se sent nettement mieux que moi. Dans ces cas là, je ne réfléchis
pas. Je m'installe dans un état de passivité totale. Je regarde,
je bois, j'écoute plus ou moins Laurent, probablement plutôt
moins, je frissonne...j'ai froid et je transpire.... Et la vue est magnifique,
ouvre tes yeux andouille et respire...
Cet état difficile m'oppresse toujours après la douche. Je fais
un effort énorme pour donner le change... Lorsque nous retournons à
l'Auberge du Marin, je suis toujours dans cet état insurmontable. Le
patron me voit arriver avec ma laine polaire sur les épaules et se
fout de moi. Il propose de couper les ventilateurs qui me glacent la peau.
Sympa le mec....
On est les seuls clients. Il s'occupe de nous avec bienveillance. Il est chaleureux.
Il nous raconte la Martinique vu du resto... Il nous propose un plat d'ici,
des chatrous (poulpes) à la manière créole. Un pur délice...
On se régale avec un repas original, copieux pour moins de deux cents
francs.
On détaille l'ambiance un peu hétéroclite du resto. On
s'y fait. On se sent divinement bien. Je me réchauffe peu à
peu ; Je commence à penser qu'on a vraiment de la chance d'être
là. Le patron nous parle de ces différentes spécialités
(des tripes de cabri en particulier) et de son couscous du jeudi, uniquement
sur réservation. Un peu pour rire, mais aussi parce qu'on est bien
avec lui, on réserve donc pour le jeudi midi (le couscous coûte
50F). Laurent est parfaitement détendu, malicieux, heureux...
Je passe une très mauvaise nuit ; Je n'arrive pas à réguler
ma température. Toute la nuit je me débats entre sueurs et sensations
de froid. Le lendemain, je m'affole, j'ai les jambes toutes enflées,
les chevilles énormes et mes orteils ressemblent à de petits
boudins blancs mal ficelés...
Je me sens lourde, et très très fatiguée. Dans ces cas
là, il vaut mieux que je me bouge les fesses et que j'évite
de penser à ce malaise en attendant que ça aille mieux ou que
ça s'aggrave.
J'entreprends donc le nettoyage du bateau. Rude labeur, qui a le mérite
de me tenir chaud, même quand le ciel se couvre et qu'il tombe des cordes
et qui m'occupe quatre bonnes heures. .... Pendant que Laurent explore les
différents ateliers pour régler ses problèmes techniques.
Je n'ai pas fini de trier le linge quand il revient enchanté. Les services
proposés lui semblent beaucoup plus sérieux qu'à Martigues
ou Port de Bouc. Concernant le pilote SIMRAD, le technicien lui a expliqué
qu'il avait été très mal conseillé et qu'en aucun
cas il n'aurait dû acheter ce pilote pour une si longue traversée.
Que SIMRAD fait des pilotes plus résistants et beaucoup mieux adaptés
à ce programme.... même si les modèles sont moins sophistiqués.
Dommage mais pour le moment c'est celui là dont on dispose et il faudra
bien qu'il marche. L'homme propose aussi de réparer le sondeur en 24
heures, la panne est banale... Le type connaît son affaire.
Le lendemain, je me sens toujours aussi mal. Vous savez quand vous êtes
malade, quelquefois, vous continuez à vivre comme si tout allait bien,
mais vous ne ressentez rien comme il faudrait. Il y a une distance terrible
entre tout ce que vous faites et ce que vous ressentez . Et surtout, il y
a cette insurmontable fatigue qui vous empêche de vivre pleinement.
Je sens dans la bouche, sur la langue, sur les lèvres cette tension
désagréable qui promet une belle irruption de boutons de fièvre.
Et mes jambes et mes pieds sont toujours enflés.
Comme je n'admets pas l'idée d'être malade, je m'inflige un traitement
préventif que j'ai en réserve pour ce genre de souci... Et nous
décidons de nous offrir une journée de promenade.
Nous passons dans un super marché local pour acheter un pique nique.
Laurent remarque en rigolant que j'ai déjà adopté le
rythme tranquille des antillais. Il ne me reconnaît plus. Il n'a pas
compris que je ne fais pas exprès, le moindre geste me coûte
une effort terrible. Sa réflexion amusée me glace. Mais qu'est-ce
qui m'arrive ?
Au hasard des routes qui grimpent dans les collines nous partons à
l'assaut d'un morne. Je ne suis pas tranquille. J'ai l'impression de me traîner
et j'ai du mal à respirer...
Nous suivons une petite route sympathique qui courent à travers des
maisons pimpantes, joyeuses et des jardins toujours magnifiques. Nous flânons,
plus que nous marchons. Pour le moment ça va. Je résiste en
suant, mais je suis contente d'être là. Au hasard d'un carrefour,
on découvre un sentier balisé 'le parcours de la rivière
Manuel'. Bien entendu, rien que son nom, c'est déjà une promesse
et on s'y engage avec enthousiasme. Quelqu'un à la sortie du village
nous dit que le balisage ne va pas au bout et que le sentier se perd, mais
on s'en fiche. Merci la Rouvière et l'exploration des sentiers de Cévennes
qui nous ont habitués à ces chemins aléatoires.
La ballade a été géniale. Le sentier " Manuel "
nous a mené parfaitement tout le long du circuit. Au cœur de la
forêt tropicale, nous avons traversé une ferme. Les habitants
de toute évidence ne voient pas souvent des piétons circuler
à travers leurs prés. Il n'y a pas moyen d'accéder ici
en voiture. C'est probablement loin d'être idyllique d'habiter dans
ce trou de verdure étouffante et infestée de moustiques. Mais
nous avons ajusté notre vision touristique des lieux. Je suis poliment
passée derrière une cousine de la Noiraude en m'excusant du
dérangement. Elle m'a dévisagée avec son air niaiseux,
mais elle ne m'a pas reconnue. Franchement dans mon doux pays des Vosges,
les vaches, elles n'ont jamais l'air si bêtes....
Malgré mon insurmontable fatigue j'ai vraiment apprécié
cette ballade de deux heures. Le pique nique au bord de l'eau nous a permis
une pause au milieu d'une immense bambouseraie... Nous avons déambulé
entre cocotiers, bananiers et hibiscus et des tas d'autres plantes extraordinaires
que je ne sais pas encore identifier. Quelquefois, un papillon chatoyant venait
me tourniquoter autour, je le suivais quelques minutes dans une petite traverse
pendant que Laurent faisait des photos. Même y'en a un qui m'a menée
à une case abandonnée. Et ce n'était pas par hasard car
j'ai eu la réponse... Vous savez, les noix de la plage, ces palmiers
qui me posaient question. Vous ne le croirez pas mais c'était des vraies
noix de coco... Si, si vraiment... Parce que les noix de coco que nous achetons
à Marseille, (à Tours ou à Strasbourg, même dans
mes Vosges si douces, et peut-être à Montréal, en Floride
ou à la Réunion), elles sont débarrassées de leur
épaisse enveloppe extérieure. Cette coque géniale est
toute rembourrée de fibres. Qu'est-ce qu'elle doit être bien
la noix, dans son nid de laine... Dans la cabane abandonnée j'ai trouvé
devant la porte une multitude d'écorces explosées. C'est pour
ça, j'ai tout compris... C'est intelligent des fois, un papillon...
Nous avons déambulé dans la forêt des merveilles comme
au pays d'Alice, mais il n'y a pas eu de lapin ...
Cette première approche de la campagne sauvage a été
très forte et vraiment formidable. J'en garde encore le souvenir ébloui.
Lorsque nous sommes rentrés, j'ai à peine mangé. J'étais
dévorée par les moustiques. Je me suis couchée vers 19
h 30. J'ai dormi d'une seule traite pendant 14 heures. Je n'ai aucun souvenir
de ces 14 heures de sommeil. J'ai vraiment sombré, une longue très
longue nuit, sans rêve.... Lorsque je me suis levée vers 10 heures
le matin, j'étais en pleine forme. Mes chevilles avaient désenflé,
(Laurent a pris le relais) je n'avais plus de fièvre, je me sentais
merveilleusement bien. La marina était magnifique.... Les quelques
jours qui ont suivi ont été agréables comme tout. Avant
que la nuit tombe, je m'offrais un petit footing dans l'un ou l'autre morne
à l'arrière du Marin. Je rencontrais des gens agréables
et souriants. Après ma douche, je regardais se lever la lune depuis
le hamac.... Et je pensais à vous. Que de merveilles...
Et qu'en a-t-il été du couscous du jeudi à l'Auberge
du Marin ? Nous arrivons sur le coup de une heure de l'après midi.
Ambiance totalement différente du soir. Le restaurant est bondé,
pas une table n'est libre. Il y a une autre terrasse que nous n'avions pas
remarquée le soir, un peu plus bas, sous les bananiers où s'entassent
les charters vacanciers. Les tables de notre terrasse sont réservées
par des locaux ou des agents administratifs importés de métropole,
en particulier tout une table de gendarmes... L'ambiance est joyeuse, tout
le monde semble se connaître et on mange en famille en quelque sorte.
Nous inaugurons notre premier 'ti punch "' local. Le patron ne s'embarrasse
pas, il pose deux verres citrons sur la table, une coupe avec du sucre roux
et la bouteille de rhum et débrouille toi pour faire ta mixture...
Nous observons longuement les tables voisines pour faire semblant de savoir
nous y prendre. On ne mélange pas le sucre avec une cuiller . D'ailleurs
la seule qui est sur la table est dans la coupe pour doser sa ration. Après
avoir versé sa rasade de rhum blanc on agite le verre pour dissoudre
le sucre et imprégner le rhum avec le citron... Le mouvement du poignet
est sobre et le liquide doit tourner délicatement. Il ne s'agit pas
de secouer son verre comme un sauvage. Le sucre doit s'imprégner du
citron et le rhum doit s'imprégner du sucre. Forcément ça
ne se fait pas en 3 gestes expédiés vite fait. Il faut aussi
prendre le temps de voir la préparation s'ambrer en dansant dans le
verre. Dégusté à température ambiante, ce 'ti
punch vu de ma fenêtre, ça arrache et ça réveille
le palais... et même ça réveille de saines pensées.
Quant au couscous gastronomique de Gérard, c'est le plus fabuleux que
j'ai mangé et c'est en Martinique cuisiné par un Landais....
Au diable les préjugés et prenons de la vie ce qu'elle a de
meilleur a dit mon ti punch en ce jour mémorable.
Mardi 29 janvier 2002
Nous quittons le Marin pour nous rapprocher de la baie de Fort de France où
nous attendent les nouvelles cartes bleues et documents transmis par Olivier
en poste restante. Nous contournons un magnifique rocher arrondi " le
diamant " qui sort de l'eau plutôt comme un kyste monstrueux. Laurent
trouve qu'il ressemble à une gigantesque boule glacée pistache
dans laquelle un géant aurait croqué à belles dents.
Nous longeons une côte magnifique et tranquille.
25 milles de navigation de jour en vent arrière avec juste le foc déroulé.
Navigation mémère, petite promenade de santé de quelques
heures. Même pas un grain pour nous secouer un peu. Nous choisissons
de mouiller à l'anse Mitan. Le mouillage est dit " rouleur "
mais dans ce secteur, ils le sont tous....
A 16 heures nous sommes installés dans l'anse Mitan et nous prenons
nos premiers repères à terre. Rien de bien folichon, c'est comme
toutes les anses et plages de bord de mer... Grand hôtel, restaurants
qui rivalisent avec partout les mêmes propositions de repas dont les
menus oscillent entre 150 et 300 Frs. Les navettes vers Fort de France agitent
le mouillage mais on en a vu d'autres...
Mercredi 30 janvier 2002.
La navette a fond de train nous dépose en 1/4 d'heure
aux portes de la capitale. Fort de France est une sympathique ville qui s'étale
dans l'immense baie des Flamands. Mais le mouillage est minuscule et nous
nous réjouissons de ne pas être venus nous y fourvoyer. Nous
faisons la queue quasiment une heure à la poste pour récupérer
notre paquet. Il semble que ce soit l'habitude dans tous les bureaux de poste
ici, quand ils sont ouverts au public...
Nous avalons un casse croûte rapide dans le parc public Savane ",
couleurs exotiques, végétation tropicale fort entretenue, et
bruits ambiants d'une ville affairée. Il y a ici énormément
de voitures, et ça roule mal. Les gens n'ont pas été
sensibilisés au respect de l'environnement ; les papiers gras, les
canettes, les épluchures de bananes, les emballages de cigarettes et
les mégots, tout s'y étale. Le sol est encombré de vrais
nappes d'immondices. Et le vent bien entendu si régulier chasse ces
détritus à travers pelouses et ruelles. Beaucoup de façades
sont délabrées et la ville paraît pauvre. Nous découvrons
par hasard le marché local fort achalandé en légumes,
épices et produits locaux. Il a cet air abandonné propre à
toute la ville d'ailleurs fort sale. Nous n'avons vraiment pas l'impression
d'être dans une province de France.
Nous rencontrons par hasard des voisins de mouillage de Palmeira qui ont quitté
le Cap Vert quelques jours après nous et viennent d'arriver. On boit
un verre ensemble dans une boîte à canne à sucre. Les
tiges sont broyées sur place et le jus proposé à la vente,
épicé d'un zeste de citron est délicieux.
Au retour, nous passons chez les loueurs de voitures, dont le prix d'appel
fort alléchant (entre 140 et 170 F la journée ne tient pas compte
bien sûr de l'assurance obligatoire et taxes diverses.)Les réponses
ne sont guère encourageantes..
* Impossible de vous proposer une voiture pour les prochaines 48 heures, elles
sont réservées plusieurs semaines à l'avance.
* je n'en n'ai pas de disponibles avant la semaine prochaine.
* je ne loue aucune voiture pour une durée inférieure à
3 jours ;
Au retour à l'anse mitan, nous trouvons une nana sympa
dans une boutique qui ne paie pas de mine qui nous garde une twingo demain....
Elle la récupère à 8h 30, nous pourrons en disposer à
partir de 10 h le matin, pour 48 heures, et pour 270 F par jour TTC. Génial....
Le lendemain on se pointe à 10 heures tapants, la nana nous a oubliés.
Elle a loué la voiture à 9H. Encore une qui veut nous avoir....
- Je peux vous en proposer une avec clim pour 320 F, c'est ce que j'ai de
moins cher qui reste disponible.
- Vous vous moquez de nous, on avait un contrat oral pour une voiture à
270 F. La clim ne nous intéresse pas. Je ne veux pas me refroidir et
tomber malade bêtement. D'autant que l'air ici est frais et qu'il suffit
d'ouvrir les fenêtres....
- Je sais bien, je suis désolée mais je ne peux pas faire autrement.
- Alors louez- nous celle avec la clim au prix de l'autre.
Elle tripote son clavier, elle est vraiment embêtée.
- C'est de ma faute, je peux faire un geste. Je vous la laisse à 280
F.
Ouf, sauvés. Mais je commence à penser que les commerçants
ici ne sont peut-être pas très fiables. Cette fille est brave,
elle nous offre en prime un plan de l'île et quelques conseils sur le
tourisme local.
On est rudement content de poser les fesses sur les sièges
de la voiture.
Nous passerons deux jours à sillonner les routes fabuleuses de l'île.
Une journée la côte au vent et ses côtes tourmentées.
Visite du musée de la banane, énorme pensée pour Jo.
Une autre journée la côte sous le vent avec le retour par le
mont Pelée et la route de la Trace, fabuleuse percée à
travers la forêt tropicale. Nous alternons ballades d'une heure ou une
heure et demie à pieds et circuits voiture. C'est vraiment génial.
En guise d'apéritif, à midi, nous avons visité une rhumerie.
Nous sommes enthousiastes et nous comptons bien en visiter quelques unes à
travers toutes ces îles. .... Nous pique-niquons dans des sites grandioses
et parfaitement isolés. Cette île mérite vraiment qu'on
s'y attarde.
Dimanche, 3 février 2002
Journée relaxe à bord. On se laisse vivre entre deux averses. Le ciel a été noir toute la journée. Ce n'est pas un jour faste pour naviguer . Nous attendrons demain pour changer de site. Nous avons décidé de partit à la découverte de Sainte LUCIE.... 35 milles environ, une nouvelle navigation touristique qui nous enchante à l'avance....
Je me demande toutefois quand je vais pouvoir envoyer ce coucounet. Que ce soit à Fort de France ou à proximité d'ici dans une marina, les tarifs sont prohibitifs... et il y a peu de sites internet... faut faire la queue en plus.... Patience, en attendant je continue d'écrire. Nous risquons de notre côté d'avoir de la lecture pour plusieurs semaines lorsque nous irons relever notre boîte aux lettres... Chouette....
Lundi 4 février 2002
Départ de l'anse mitan vers 9 heures, nous avons 35 milles
à faire pour rejoindre Santa Lucia. Nous prévoyons de poser
notre ancre à Rodnay Bay pour la première nuit et y faire nos
formalités d'entrée.
Nous partons pour une petite croisière de jour. la mer est toute gentille,
une toute petite houle d'à peine deux mètres. Nous recevons
le vent 20 noeuds annoncés par l'Est et nous allons au Sud Est. C'est
donc au prés serré que nous naviguons. L e voilier est parfaiement
stabilisé, ça marche tout seul . On s'aide du moteur pour maintenir
un cap qui nous évite un trop long bord mais surtout parce qu'on veut
refaire un peu d'eau au dessal... Après une heure, les batteries sont
bien chargées avec les panneaux et le dessal n'a rien consommé
puisqu'il était alimenté par le moteur. On décide de
naviguer à la voile et de faire tourner le dessal grâce à
l'alternateur d'arbre. Génial, plus de bruit et nous retrouvons toutes
des sensations de la mer qui sait se faire si douce quelquefois. Un petit
pique nique de SDF, saucisson, gros rouge... C'est vraiment un enchantement.
Et c'est notre dernier saucisson...Mais rassurez-vous pas notre dernière
bouteille de rouge. Merci les copains...
D'un coup le ciel se charge de nuances grisâtres, le petit 20 noeuds
de vent qui nous allait si bien évolue. On passe rapidement à
30. J'aurais bien voulu qu'on réduise les toiles. Laurent n'a pas envie.
Ce n'est rien qu'un petit grain, franchement on en a essuyé de plus
violents pendant la traversée... Tu parles !
D'abord, pendant la traversée on était vent arrière,
et ça change tout. L'effet est bien différent de face. On se
fait donc copieusement rincer par les vagues, avant que l'averse nous dégringole
dessus avec la violence d'une tempête. On gîte comme des malades.
Je m'affole. Pourquoi Laurent prend-il soudain la barre ? Honnêtement,
j'ai vraiment la trouille... Du calme, un " gros grain " (salut
Thérèse) ça dure au maximum un bon quart d'heure... Pas
de quoi se tordre les tripes tout de même... Donc je jette un œil
sur la pendule... Et je reste constipée, coincée, cramponnée
des fesses sur mon banc de cockpit. Laurent barre consciencieusement. On n'échange
pas un mot. Un quart d'heure plus tard, la pluie est toujours aussi violente,
coup d'œil à la pendule du carré.
- Tiens, ça va bientôt finir....
Je n'y peux rien, il faut toujours que je force le destin... Et ça
fait un quart d'heure que ce grain nous enquiquine...Il a fait son temps,
il doit dégager de mon ciel... Et ça marche. Quelques mots plus
tard, notre vitesse redevient honnête, mon nez et mes oreilles se réchauffent
et je laisse enfin tomber le blouson étanche...
Et le navire se stabilise, et les vagues s'aplatissent... Mais on s'est sérieusement
décapé (dérouté du cap).
Nous décidons donc de continuer sur notre lancée et plutôt
que de tirer un bord pour Rodnay Bay nous filons direct vers Marigot Bay.
Et Marigot Bay, il fallait y venir. Nous traversons un premier
bassin le long des rochers. Après une petite plage de sable blancs,
cocotiers parfaitement alignés, s'ouvre un deuxième bassin au
milieu de la mangrove. Ce deuxième bassin est inattendu et pour nous
un vrai dépaysement. Nous, on aime bien débarquer sur des images
de carte postale. Pendant qu'on effectue notre délicate opération
de mouillage, deux barques locales nous rejoignent. Des braves petits gars,
qui nous proposent des bananes, des pommes fruits, des oranges, des paniers
tressés.... (Désolée je suis incapable de retranscrire
l'accent qui vaut son pesant de noix de coco...)
- Tu veux faire affaire avec moi.
- Non, pas le temps, pas tout de suite...
- Si regarde, j'ai les bananes, les fruits, tout, tu me dis c'est quoi tu
as besoin, je cherche.
- non pas ce soir, j'ai tout ce qu'il faut
- demain, on fait affaire demain, je t'apporte bananes un régime d'accord
- Bon demain peut-être c'est combien les bananes ?
- Tout le régime, 20 $ec
(ils disent : " dollars ici "... j'ai pas tout de suite compris
que c'est la monnaie locale. Ca n'y change pas grand chose, de la monnaie
local on n'en n'a pas...)
- C'est cher 20 $ !
- Non, pas cher, pas du tout. Toi Française, moi te dire le prix français,
parce que les français pas beaucoup riches. C'est pas le même
pour les Américains.
Laurent le trouve génial et lui offre une bière ainsi qu'à
son copain dans l'autre barque. Et on verra demain pour les affaires.
Nous voilà de plein pied dans une île où
les plaisanciers sont des vaches à lait. Bon j'insiste pas c'est la
Noiraude qui va me faire sa tête de cochon toute la soirée...
S'agit pas qu'elle me gâte mon paysage...