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* Préambule : nous voici à notre deuxième étape de voyage ; on dirait par exemple que c'est la " croisière aux Caraïbes ". Toutefois, je ne sais pas si c'est intéressant pour vous, que je relate cette partie du voyage. Le voyage ici se banalise. Je comprends très bien qu'un discours en forme de dépliant touristique puisse n'avoir pour vous aucun intérêt ; je crains que les prochains coucounets soient de ce topo là.... et encombrent votre boîte aux lettres. Ce qui me désolerait.
La 3ème étape sera vers le 15 mai, pour le retour. C'est probablement là une autre sorte d'aventure à la voile ; la route sera très différente... Voulez-vous être "suspendu" jusque là ?
Y a qu'à demander... Bisous
Janou B


COUCOU NET 10 ème émission

Marina du Marin - mardi 22 janvier 2002


Le Marin, c'est une immense marina, (marinade) parfaitement équipée où tout est organisé pour l'extrême confort du plaisancier. Nous sommes surpris d'apercevoir sur le quai toutes les boutiques, tous les ateliers spécifiques au milieu maritime exactement comme en métropole. Il faut dire que les pannes sont surtout encombrées par les bateaux de location. Une armada d'ouvriers aux couleurs de l'agence qui les emploie circule d'une embarcation à l'autre. Toutefois, il y a quand même une dizaine de bateaux de passage sur notre ponton.
C'est l'instant d'après notre arrivée. Je hume l'ambiance. Je suis collée à l'avant du voilier parfaitement stabilisé. Je n'ose pas bouger. Appuyée contre l'étai, je dévore des yeux tout ce qui bouge sur la panne et tout ce qui ne bouge pas. Je m'imprègne de ce sentiment formidable de sécurité totale dont on ne peut mesurer le confort que lorsqu'on a traversé de durs moments de doutes. Je voudrais bien que Laurent se dépêche de me rejoindre, pour partager avec lui mes premiers pas sur la terre ferme. Il met un temps fou à se "déhotter";
C'est pourtant un moment terrible et il n'y a pas plus urgent comme priorité à cet instant que de faire quelques pas vers la ville. Franchement est-ce le moment d'installer le taud de grand'voile à 5 heures de l'après-midi ? Les cordages livrés à eux-mêmes sont en vrac dans le cockpit, ça fait désordre j'en conviens. J'ai dans la cambuse des paquets de nouilles dits " nids aux œufs " qui ont exactement cet aspect. Et alors ? Est-ce que nous n'avons pas tout le temps nécessaire désormais pour lover tout ça proprement. A terre, il y a des bars qui ont l'air rudement sympa et un sol merveilleusement stable où il doit faire si bon poser un pied après l'autre. S'asseoir dans un vrai fauteuil rembourré, en s'étouffant avec un panaché pétillant, quel bonheur ce sera ?
Dépêche-toi, dépêche-toi, dépêche-toi...dép.... Enfin il arrive...
J'enjambe le balcon et je suis aussitôt confrontée à ce problème incontournable des accès à quai qui sont toujours pour moi de véritables épreuves... Les quais sont toujours beaucoup trop bas. Les prises sur le bateau pour se hisser sont toujours beaucoup trop hautes. Pour Laurent qui a de longues jambes, le voilier est toujours très près du quai. Il craint je ne sais quel mouvement intempestif qui fracasserait son beau navire contre la panne... Enfin, c'est ce que je suppose car je dois toujours ronchonner, pleurnicher, insister, formuler d'interminables plaintes, pour qu'au compte gouttes, il laisse suffisamment de mou dans les amarres pour que je pose pied à terre sans avoir à sauter héroïquement dans cet espace qui me terrorise entre le quai et l'étrave du bateau. Vous vous rendez compte, si je me loupe, que je me vautre dans ce trou d'eau. Je vais me blesser, gravement ça c'est sûr, je vais crier, me débattre, affoler toute la panne, peut-être même tout le port avec tous ces gens si chics. Et pour finir je vais me noyer dans cette marinade d'excréments , d'eau grasse de moteur et d'épluchures.... A chaque fois que je dois sauter sur le quai, cette affreuse image me traverse l'esprit.... Laurent m'énerve. Il n'arrive pas à imaginer que c'est pour moi une véritable épreuve d'enjamber ce maudit balcon toujours trop haut et tomber sur ce maudit quai toujours trop bas pour mes petites pattes. Echange de mots invariables :
- Allez on se rapproche du quai, on lâche un peu de pendille d'accord, aide moi, sois gentil ?
- Pas la peine, vas-y je te tiens l'amarre.
Il se pose en équilibre sur une amarre et appuie de tout son poids. C'est vrai le bateau a le nez sur le quai. Je peux sauter à terre d'un tout petit pas rassurant. Mais je ne vais quand même pas appeler Laurent au secours à chaque fois que je veux quitter le bateau. Quant à faire ce genre d'acrobatie que tous les plaisanciers pratiquent si facilement, je ne m'y soumettrai jamais alors qu'il suffit de s'amarrer plus court... Vous savez combien je suis chiante et têtue et je ne suis pas disposée après ces semaines de galère à céder. Je veux avoir la paix et l'esprit tranquille. Je veux pouvoir aller et venir à terre librement, sans aucune angoisse d'aucune sorte. Laurent finit par céder. Franchement qu'est-ce que ça lui coûte ? On installe un cordage doublé sur un winch que je règle à la longueur que je veux... Et ça c'est magnifique... Je peux monter et descendre quasiment en marchant, du bateau au quai, du quai au bateau... Je suis enfin une femme libre. Je peux jouir de la terre.
Le quai est très animé. Une multitude de bars, locations de bateaux, de boutiques, offrent leurs vitrines qui masquent l'aspect précaire des bâtiments. Ce n'est pas différent des autres marinas que nous avons eu l'occasion de fréquenter depuis que nous pratiquons la voile.
A l'entrée de la capitainerie "tenue correcte exigée" préconise la porte... Ce n'est pas ce conseil qui me fait éternuer mais l'air conditionné. Y'a belle lurette qu'on a oublié ce que c'était la clim... Ces 17 jours en mer nous font l'effet de débarquer d'un autre monde. Oserais-je avouer que je déchante à toute vitesse. Suis-je vraiment si ravie de me trouver là. Nous avons choisi la Marina pour avoir l'eau courante et l'électricité, l'accès facile aux ateliers pour envisager nos réparations diverses... De l'eau, je risque d'en consommer pas mal. Notre embarcation a l'odeur et l'allure d'une porcherie. J'envisage aussi de la lessive que j'évalue à 15 /20 kg à trimbaler dans une laverie. Il faut aussi que je recouse la bande anti-uv du foc qui se déchire. Laurent doit trouver une ou des courroies de rechange pour le pilote déficient. Il faut qu'il retende celle de l'alternateur... Il y a aussi notre sondeur qui ne sonde plus rien du tout. C'est surtout à cause de lui que nous avons renoncé au mouillage en arrivant. Tout plein de boulot nous attend ici.
On repère les ateliers qui nous seront utiles, les bureaux administratifs pour notre entrée en département outre mer. Mais tout cela décidément est trop artificiel et surtout affreusement puant, affreusement bruyant... J'ai encore dans les oreilles le fracas de la mer, les agressions du vent, et je ne suis pas prête à affronter les sonos qui cognent , les bousculades et les piaillements de la foule en vacances. Nous quittons la zone " marinade " pour accéder au village.
La plage qui longe le village est animée, bordée de bars locaux et bien entendu de palmiers. Mais ces énormes fruits verts agrippés aux branches, sont-ce des " cocos ", drôles de cocottes ces noix là. Elles sont trois fois plus grosses que celles que nous consommons à Marseille, elles n'ont pas la forme parfaitement ovoïdes que nous aimons tant, celle-là ont l'air toutes bosselées. Les nôtres sont brunes, avec une sorte de coquilles filamenteuse. Rien à voir avec ces noix là qui sont toutes lisses... Interrogation ? On quitte les mystérieux palmiers pour monter de toutes petites rues qui nous permettent de découvrir un bourg qui n'a rien à voir avec l'aspect aseptisé du quartier maritime. Les ruelles tortueuses sont raides à monter. Une averse nous surprend qui tombe drue, pas d'abris possible. Mais au moins si on fait semblant de s'abriter sous un magnifique arbre à pain, j'en profite pour reprendre un peu de souffle. Je transpire comme c'est pas possible, je suis épuisée, à cause d'une ruelle en pente... Nous apercevons une immense façade " Auberge du Marin ", mais une fois devant nous trouvons les volets tirés. De vilains volets roulants en fer. Un couloir minable est ouvert sur la gauche, une vague lumière brille au fond. On s'y engage. On débouche sur une espèce de terrasse couverte très encombrée, étouffante même. Toutes sortes d'objets sont entassés là. Un homme au teint pâle, la cinquantaine blanchissante est assis à une table. Il est fort occupé à bricoler un appareil photo.. Il lève le nez quand on se présente sur la pointe des pieds.
Laurent devrait dire, " Bonjour Monsieur, la porte de l'exotisme, c'est où mec ? " Mais il se trompe de texte :
- Bonjour Monsieur, c'est ici le restaurant ?
- Bien sûr vous voulez manger maintenaient ?
Faut dire qu'il est à peine dix huit heures, la question est donc tout à fait pertinente. L'homme blanchâtre (je parle de ces cheveux, pas de son teint qui lait aussi) a un léger accent du sud ouest. Ce resto qui ne ressemble à rien d'attendu nous déconcerte. Pourvu que ce soit pas un boui-boui. Manquerait plus qu'on s'empoisonne le premier soir. Laurent répond très prudent.
- On voulait juste savoir si c'était ouvert.
- Pas de problème. A quelle heure voulez-vous manger ?
- Le temps de nous rincer, nous sommes déjà douchés par l'averse. Mais y'a une salle de restaurant ici ?
Il nous regarde en rigolant, nous montre une autre terrasse un peu plus bas. Après trois escaliers, Il y a une dizaine de tables en plastique couvertes de nappes en papier. Les couverts sont mis. Une multitude de décors (peut-on appeler cela des décors) envahissent les murs de placo à l'état brut. Des fleurs en plastique dégringolent des murs, des bouteilles de rhum vides, des masques en bois ou en papiers mâchés, vilaines figures pas polies du tout, nous font d'horribles grimaces, un perroquet en plâtre vissé sur une étagère crasseuse, des affiches immenses concernant des courses à la voile, dont les équipiers doivent être centenaires aujourd'hui... un vrai bric à brac. Des ventilateurs brassent l'air étouffant.
- Alors je vous réserve une table ?
Je regarde Laurent. Je vois défiler dans ces yeux l'image des restos marinas du port. Que choisir, resto modernes proches du fast food ou cuisine mystère. Quel sera le moins toxique ? Laurent est d'accord avec moi.
- Bon, vous nous laissez le temps de retourner au bateau nous changer. On revient vers 20 heures d'accord.
- D'accord, mais vous reviendrez ?
- Promis, on revient, après notre douche, vers 20 heures....
Une fois dans la rue, nous sommes désenvoutés. Sommes-nous si certains de revenir à travers ce corridor miteux. La carte ne nous a pas paru si mal. Mais le cadre ? Au diable le cadre, au diable le patron qui n'a pas la couleur caraïbe, c'est plus local que les pièges à plaisanciers de la marina. Une bouffée d'exotisme est passée. Nous respirons un petit goût d'aventure.

Les ruelles tortueuses nous reprennent en descente vers la plage et avec une nouvelle averse. Nous décidons de boire notre premier pot à l'abri d'un bar sur le sable. Je me laisse enfin tomber dans un fauteuil accueillant. Je suis terriblement lasse. Il n'y a pas de panaché ici. Je me rabats sur une espèce de bière au sirop de fraise... Pas terrible mais agréable cependant. Laurent ne court aucun risque, la bière pression on en trouve vraiment partout.
Le soleil est revenu. Le chant singulier qui hante les rues du village a repris. C'est une modulation très douce presque soprano, un très petit oiseau sûrement. Nous apprendrons plus tard que ce cri est celui d'une grenouille minuscule, (quelques centimètres) qui s'abrite dans les herbes humides. Elle est difficile à voir car elle est presque translucide. Il va falloir ouvrir grand les yeux. La nature s'offre avec opulence mais aussi se cache quelquefois.
Dans le bar, l'ambiance est chaleureuse, musique locale en sourdine. Les cocotiers égouttent leurs immenses feuillages sur le sable. Sur la mer qui ressemble ici à un vrai lac tellement elle est plate, des yoles rentrent au sec. Au loin, les voiliers du mouillage s'alignent proprement dans le fond de la baie. L'anse est bordée de collines verdoyantes qu'on appelle ici des " mornes ". Je suis donc installée au cœur d'une carte postale.
Ma boisson est fraîche, il fait doux, la vue est reposante, apaisante, magnifique... Mais que se passe-t-il ici ? On est comme deux qui ne sauraient pas où trouver ce qu'ils cherchent. Et je me sens mal, très mal mais je ne sais pas définir en quoi.... L'idée de rentrer au bateau, me doucher dans l'espace sanitaire du club, repartir à l'assaut des ruelles pour manger dans un resto plus que douteux... D 'un coup tout ça me paraît très compliqué, très fatiguant et inutile. Je n'ose pas le dire à Laurent qui de toute évidence se sent nettement mieux que moi. Dans ces cas là, je ne réfléchis pas. Je m'installe dans un état de passivité totale. Je regarde, je bois, j'écoute plus ou moins Laurent, probablement plutôt moins, je frissonne...j'ai froid et je transpire.... Et la vue est magnifique, ouvre tes yeux andouille et respire...

Cet état difficile m'oppresse toujours après la douche. Je fais un effort énorme pour donner le change... Lorsque nous retournons à l'Auberge du Marin, je suis toujours dans cet état insurmontable. Le patron me voit arriver avec ma laine polaire sur les épaules et se fout de moi. Il propose de couper les ventilateurs qui me glacent la peau. Sympa le mec....
On est les seuls clients. Il s'occupe de nous avec bienveillance. Il est chaleureux. Il nous raconte la Martinique vu du resto... Il nous propose un plat d'ici, des chatrous (poulpes) à la manière créole. Un pur délice... On se régale avec un repas original, copieux pour moins de deux cents francs.
On détaille l'ambiance un peu hétéroclite du resto. On s'y fait. On se sent divinement bien. Je me réchauffe peu à peu ; Je commence à penser qu'on a vraiment de la chance d'être là. Le patron nous parle de ces différentes spécialités (des tripes de cabri en particulier) et de son couscous du jeudi, uniquement sur réservation. Un peu pour rire, mais aussi parce qu'on est bien avec lui, on réserve donc pour le jeudi midi (le couscous coûte 50F). Laurent est parfaitement détendu, malicieux, heureux...

Je passe une très mauvaise nuit ; Je n'arrive pas à réguler ma température. Toute la nuit je me débats entre sueurs et sensations de froid. Le lendemain, je m'affole, j'ai les jambes toutes enflées, les chevilles énormes et mes orteils ressemblent à de petits boudins blancs mal ficelés...
Je me sens lourde, et très très fatiguée. Dans ces cas là, il vaut mieux que je me bouge les fesses et que j'évite de penser à ce malaise en attendant que ça aille mieux ou que ça s'aggrave.
J'entreprends donc le nettoyage du bateau. Rude labeur, qui a le mérite de me tenir chaud, même quand le ciel se couvre et qu'il tombe des cordes et qui m'occupe quatre bonnes heures. .... Pendant que Laurent explore les différents ateliers pour régler ses problèmes techniques. Je n'ai pas fini de trier le linge quand il revient enchanté. Les services proposés lui semblent beaucoup plus sérieux qu'à Martigues ou Port de Bouc. Concernant le pilote SIMRAD, le technicien lui a expliqué qu'il avait été très mal conseillé et qu'en aucun cas il n'aurait dû acheter ce pilote pour une si longue traversée. Que SIMRAD fait des pilotes plus résistants et beaucoup mieux adaptés à ce programme.... même si les modèles sont moins sophistiqués. Dommage mais pour le moment c'est celui là dont on dispose et il faudra bien qu'il marche. L'homme propose aussi de réparer le sondeur en 24 heures, la panne est banale... Le type connaît son affaire.

Le lendemain, je me sens toujours aussi mal. Vous savez quand vous êtes malade, quelquefois, vous continuez à vivre comme si tout allait bien, mais vous ne ressentez rien comme il faudrait. Il y a une distance terrible entre tout ce que vous faites et ce que vous ressentez . Et surtout, il y a cette insurmontable fatigue qui vous empêche de vivre pleinement. Je sens dans la bouche, sur la langue, sur les lèvres cette tension désagréable qui promet une belle irruption de boutons de fièvre. Et mes jambes et mes pieds sont toujours enflés.
Comme je n'admets pas l'idée d'être malade, je m'inflige un traitement préventif que j'ai en réserve pour ce genre de souci... Et nous décidons de nous offrir une journée de promenade.
Nous passons dans un super marché local pour acheter un pique nique. Laurent remarque en rigolant que j'ai déjà adopté le rythme tranquille des antillais. Il ne me reconnaît plus. Il n'a pas compris que je ne fais pas exprès, le moindre geste me coûte une effort terrible. Sa réflexion amusée me glace. Mais qu'est-ce qui m'arrive ?
Au hasard des routes qui grimpent dans les collines nous partons à l'assaut d'un morne. Je ne suis pas tranquille. J'ai l'impression de me traîner et j'ai du mal à respirer...
Nous suivons une petite route sympathique qui courent à travers des maisons pimpantes, joyeuses et des jardins toujours magnifiques. Nous flânons, plus que nous marchons. Pour le moment ça va. Je résiste en suant, mais je suis contente d'être là. Au hasard d'un carrefour, on découvre un sentier balisé 'le parcours de la rivière Manuel'. Bien entendu, rien que son nom, c'est déjà une promesse et on s'y engage avec enthousiasme. Quelqu'un à la sortie du village nous dit que le balisage ne va pas au bout et que le sentier se perd, mais on s'en fiche. Merci la Rouvière et l'exploration des sentiers de Cévennes qui nous ont habitués à ces chemins aléatoires.
La ballade a été géniale. Le sentier " Manuel " nous a mené parfaitement tout le long du circuit. Au cœur de la forêt tropicale, nous avons traversé une ferme. Les habitants de toute évidence ne voient pas souvent des piétons circuler à travers leurs prés. Il n'y a pas moyen d'accéder ici en voiture. C'est probablement loin d'être idyllique d'habiter dans ce trou de verdure étouffante et infestée de moustiques. Mais nous avons ajusté notre vision touristique des lieux. Je suis poliment passée derrière une cousine de la Noiraude en m'excusant du dérangement. Elle m'a dévisagée avec son air niaiseux, mais elle ne m'a pas reconnue. Franchement dans mon doux pays des Vosges, les vaches, elles n'ont jamais l'air si bêtes....
Malgré mon insurmontable fatigue j'ai vraiment apprécié cette ballade de deux heures. Le pique nique au bord de l'eau nous a permis une pause au milieu d'une immense bambouseraie... Nous avons déambulé entre cocotiers, bananiers et hibiscus et des tas d'autres plantes extraordinaires que je ne sais pas encore identifier. Quelquefois, un papillon chatoyant venait me tourniquoter autour, je le suivais quelques minutes dans une petite traverse pendant que Laurent faisait des photos. Même y'en a un qui m'a menée à une case abandonnée. Et ce n'était pas par hasard car j'ai eu la réponse... Vous savez, les noix de la plage, ces palmiers qui me posaient question. Vous ne le croirez pas mais c'était des vraies noix de coco... Si, si vraiment... Parce que les noix de coco que nous achetons à Marseille, (à Tours ou à Strasbourg, même dans mes Vosges si douces, et peut-être à Montréal, en Floride ou à la Réunion), elles sont débarrassées de leur épaisse enveloppe extérieure. Cette coque géniale est toute rembourrée de fibres. Qu'est-ce qu'elle doit être bien la noix, dans son nid de laine... Dans la cabane abandonnée j'ai trouvé devant la porte une multitude d'écorces explosées. C'est pour ça, j'ai tout compris... C'est intelligent des fois, un papillon...
Nous avons déambulé dans la forêt des merveilles comme au pays d'Alice, mais il n'y a pas eu de lapin ...
Cette première approche de la campagne sauvage a été très forte et vraiment formidable. J'en garde encore le souvenir ébloui.

Lorsque nous sommes rentrés, j'ai à peine mangé. J'étais dévorée par les moustiques. Je me suis couchée vers 19 h 30. J'ai dormi d'une seule traite pendant 14 heures. Je n'ai aucun souvenir de ces 14 heures de sommeil. J'ai vraiment sombré, une longue très longue nuit, sans rêve.... Lorsque je me suis levée vers 10 heures le matin, j'étais en pleine forme. Mes chevilles avaient désenflé, (Laurent a pris le relais) je n'avais plus de fièvre, je me sentais merveilleusement bien. La marina était magnifique.... Les quelques jours qui ont suivi ont été agréables comme tout. Avant que la nuit tombe, je m'offrais un petit footing dans l'un ou l'autre morne à l'arrière du Marin. Je rencontrais des gens agréables et souriants. Après ma douche, je regardais se lever la lune depuis le hamac.... Et je pensais à vous. Que de merveilles...

Et qu'en a-t-il été du couscous du jeudi à l'Auberge du Marin ? Nous arrivons sur le coup de une heure de l'après midi. Ambiance totalement différente du soir. Le restaurant est bondé, pas une table n'est libre. Il y a une autre terrasse que nous n'avions pas remarquée le soir, un peu plus bas, sous les bananiers où s'entassent les charters vacanciers. Les tables de notre terrasse sont réservées par des locaux ou des agents administratifs importés de métropole, en particulier tout une table de gendarmes... L'ambiance est joyeuse, tout le monde semble se connaître et on mange en famille en quelque sorte. Nous inaugurons notre premier 'ti punch "' local. Le patron ne s'embarrasse pas, il pose deux verres citrons sur la table, une coupe avec du sucre roux et la bouteille de rhum et débrouille toi pour faire ta mixture... Nous observons longuement les tables voisines pour faire semblant de savoir nous y prendre. On ne mélange pas le sucre avec une cuiller . D'ailleurs la seule qui est sur la table est dans la coupe pour doser sa ration. Après avoir versé sa rasade de rhum blanc on agite le verre pour dissoudre le sucre et imprégner le rhum avec le citron... Le mouvement du poignet est sobre et le liquide doit tourner délicatement. Il ne s'agit pas de secouer son verre comme un sauvage. Le sucre doit s'imprégner du citron et le rhum doit s'imprégner du sucre. Forcément ça ne se fait pas en 3 gestes expédiés vite fait. Il faut aussi prendre le temps de voir la préparation s'ambrer en dansant dans le verre. Dégusté à température ambiante, ce 'ti punch vu de ma fenêtre, ça arrache et ça réveille le palais... et même ça réveille de saines pensées.
Quant au couscous gastronomique de Gérard, c'est le plus fabuleux que j'ai mangé et c'est en Martinique cuisiné par un Landais.... Au diable les préjugés et prenons de la vie ce qu'elle a de meilleur a dit mon ti punch en ce jour mémorable.



Mardi 29 janvier 2002

Nous quittons le Marin pour nous rapprocher de la baie de Fort de France où nous attendent les nouvelles cartes bleues et documents transmis par Olivier en poste restante. Nous contournons un magnifique rocher arrondi " le diamant " qui sort de l'eau plutôt comme un kyste monstrueux. Laurent trouve qu'il ressemble à une gigantesque boule glacée pistache dans laquelle un géant aurait croqué à belles dents. Nous longeons une côte magnifique et tranquille.
25 milles de navigation de jour en vent arrière avec juste le foc déroulé. Navigation mémère, petite promenade de santé de quelques heures. Même pas un grain pour nous secouer un peu. Nous choisissons de mouiller à l'anse Mitan. Le mouillage est dit " rouleur " mais dans ce secteur, ils le sont tous....

A 16 heures nous sommes installés dans l'anse Mitan et nous prenons nos premiers repères à terre. Rien de bien folichon, c'est comme toutes les anses et plages de bord de mer... Grand hôtel, restaurants qui rivalisent avec partout les mêmes propositions de repas dont les menus oscillent entre 150 et 300 Frs. Les navettes vers Fort de France agitent le mouillage mais on en a vu d'autres...

Mercredi 30 janvier 2002.

La navette a fond de train nous dépose en 1/4 d'heure aux portes de la capitale. Fort de France est une sympathique ville qui s'étale dans l'immense baie des Flamands. Mais le mouillage est minuscule et nous nous réjouissons de ne pas être venus nous y fourvoyer. Nous faisons la queue quasiment une heure à la poste pour récupérer notre paquet. Il semble que ce soit l'habitude dans tous les bureaux de poste ici, quand ils sont ouverts au public...
Nous avalons un casse croûte rapide dans le parc public Savane ", couleurs exotiques, végétation tropicale fort entretenue, et bruits ambiants d'une ville affairée. Il y a ici énormément de voitures, et ça roule mal. Les gens n'ont pas été sensibilisés au respect de l'environnement ; les papiers gras, les canettes, les épluchures de bananes, les emballages de cigarettes et les mégots, tout s'y étale. Le sol est encombré de vrais nappes d'immondices. Et le vent bien entendu si régulier chasse ces détritus à travers pelouses et ruelles. Beaucoup de façades sont délabrées et la ville paraît pauvre. Nous découvrons par hasard le marché local fort achalandé en légumes, épices et produits locaux. Il a cet air abandonné propre à toute la ville d'ailleurs fort sale. Nous n'avons vraiment pas l'impression d'être dans une province de France.
Nous rencontrons par hasard des voisins de mouillage de Palmeira qui ont quitté le Cap Vert quelques jours après nous et viennent d'arriver. On boit un verre ensemble dans une boîte à canne à sucre. Les tiges sont broyées sur place et le jus proposé à la vente, épicé d'un zeste de citron est délicieux.
Au retour, nous passons chez les loueurs de voitures, dont le prix d'appel fort alléchant (entre 140 et 170 F la journée ne tient pas compte bien sûr de l'assurance obligatoire et taxes diverses.)Les réponses ne sont guère encourageantes..
* Impossible de vous proposer une voiture pour les prochaines 48 heures, elles sont réservées plusieurs semaines à l'avance.
* je n'en n'ai pas de disponibles avant la semaine prochaine.
* je ne loue aucune voiture pour une durée inférieure à 3 jours ;

Au retour à l'anse mitan, nous trouvons une nana sympa dans une boutique qui ne paie pas de mine qui nous garde une twingo demain.... Elle la récupère à 8h 30, nous pourrons en disposer à partir de 10 h le matin, pour 48 heures, et pour 270 F par jour TTC. Génial....
Le lendemain on se pointe à 10 heures tapants, la nana nous a oubliés. Elle a loué la voiture à 9H. Encore une qui veut nous avoir....
- Je peux vous en proposer une avec clim pour 320 F, c'est ce que j'ai de moins cher qui reste disponible.
- Vous vous moquez de nous, on avait un contrat oral pour une voiture à 270 F. La clim ne nous intéresse pas. Je ne veux pas me refroidir et tomber malade bêtement. D'autant que l'air ici est frais et qu'il suffit d'ouvrir les fenêtres....
- Je sais bien, je suis désolée mais je ne peux pas faire autrement.
- Alors louez- nous celle avec la clim au prix de l'autre.
Elle tripote son clavier, elle est vraiment embêtée.
- C'est de ma faute, je peux faire un geste. Je vous la laisse à 280 F.
Ouf, sauvés. Mais je commence à penser que les commerçants ici ne sont peut-être pas très fiables. Cette fille est brave, elle nous offre en prime un plan de l'île et quelques conseils sur le tourisme local.

On est rudement content de poser les fesses sur les sièges de la voiture.
Nous passerons deux jours à sillonner les routes fabuleuses de l'île. Une journée la côte au vent et ses côtes tourmentées. Visite du musée de la banane, énorme pensée pour Jo. Une autre journée la côte sous le vent avec le retour par le mont Pelée et la route de la Trace, fabuleuse percée à travers la forêt tropicale. Nous alternons ballades d'une heure ou une heure et demie à pieds et circuits voiture. C'est vraiment génial. En guise d'apéritif, à midi, nous avons visité une rhumerie. Nous sommes enthousiastes et nous comptons bien en visiter quelques unes à travers toutes ces îles. .... Nous pique-niquons dans des sites grandioses et parfaitement isolés. Cette île mérite vraiment qu'on s'y attarde.

Dimanche, 3 février 2002

Journée relaxe à bord. On se laisse vivre entre deux averses. Le ciel a été noir toute la journée. Ce n'est pas un jour faste pour naviguer . Nous attendrons demain pour changer de site. Nous avons décidé de partit à la découverte de Sainte LUCIE.... 35 milles environ, une nouvelle navigation touristique qui nous enchante à l'avance....

Je me demande toutefois quand je vais pouvoir envoyer ce coucounet. Que ce soit à Fort de France ou à proximité d'ici dans une marina, les tarifs sont prohibitifs... et il y a peu de sites internet... faut faire la queue en plus.... Patience, en attendant je continue d'écrire. Nous risquons de notre côté d'avoir de la lecture pour plusieurs semaines lorsque nous irons relever notre boîte aux lettres... Chouette....

Lundi 4 février 2002

Départ de l'anse mitan vers 9 heures, nous avons 35 milles à faire pour rejoindre Santa Lucia. Nous prévoyons de poser notre ancre à Rodnay Bay pour la première nuit et y faire nos formalités d'entrée.
Nous partons pour une petite croisière de jour. la mer est toute gentille, une toute petite houle d'à peine deux mètres. Nous recevons le vent 20 noeuds annoncés par l'Est et nous allons au Sud Est. C'est donc au prés serré que nous naviguons. L e voilier est parfaiement stabilisé, ça marche tout seul . On s'aide du moteur pour maintenir un cap qui nous évite un trop long bord mais surtout parce qu'on veut refaire un peu d'eau au dessal... Après une heure, les batteries sont bien chargées avec les panneaux et le dessal n'a rien consommé puisqu'il était alimenté par le moteur. On décide de naviguer à la voile et de faire tourner le dessal grâce à l'alternateur d'arbre. Génial, plus de bruit et nous retrouvons toutes des sensations de la mer qui sait se faire si douce quelquefois. Un petit pique nique de SDF, saucisson, gros rouge... C'est vraiment un enchantement. Et c'est notre dernier saucisson...Mais rassurez-vous pas notre dernière bouteille de rouge. Merci les copains...
D'un coup le ciel se charge de nuances grisâtres, le petit 20 noeuds de vent qui nous allait si bien évolue. On passe rapidement à 30. J'aurais bien voulu qu'on réduise les toiles. Laurent n'a pas envie. Ce n'est rien qu'un petit grain, franchement on en a essuyé de plus violents pendant la traversée... Tu parles !
D'abord, pendant la traversée on était vent arrière, et ça change tout. L'effet est bien différent de face. On se fait donc copieusement rincer par les vagues, avant que l'averse nous dégringole dessus avec la violence d'une tempête. On gîte comme des malades. Je m'affole. Pourquoi Laurent prend-il soudain la barre ? Honnêtement, j'ai vraiment la trouille... Du calme, un " gros grain " (salut Thérèse) ça dure au maximum un bon quart d'heure... Pas de quoi se tordre les tripes tout de même... Donc je jette un œil sur la pendule... Et je reste constipée, coincée, cramponnée des fesses sur mon banc de cockpit. Laurent barre consciencieusement. On n'échange pas un mot. Un quart d'heure plus tard, la pluie est toujours aussi violente, coup d'œil à la pendule du carré.
- Tiens, ça va bientôt finir....
Je n'y peux rien, il faut toujours que je force le destin... Et ça fait un quart d'heure que ce grain nous enquiquine...Il a fait son temps, il doit dégager de mon ciel... Et ça marche. Quelques mots plus tard, notre vitesse redevient honnête, mon nez et mes oreilles se réchauffent et je laisse enfin tomber le blouson étanche...
Et le navire se stabilise, et les vagues s'aplatissent... Mais on s'est sérieusement décapé (dérouté du cap).
Nous décidons donc de continuer sur notre lancée et plutôt que de tirer un bord pour Rodnay Bay nous filons direct vers Marigot Bay.

Et Marigot Bay, il fallait y venir. Nous traversons un premier bassin le long des rochers. Après une petite plage de sable blancs, cocotiers parfaitement alignés, s'ouvre un deuxième bassin au milieu de la mangrove. Ce deuxième bassin est inattendu et pour nous un vrai dépaysement. Nous, on aime bien débarquer sur des images de carte postale. Pendant qu'on effectue notre délicate opération de mouillage, deux barques locales nous rejoignent. Des braves petits gars, qui nous proposent des bananes, des pommes fruits, des oranges, des paniers tressés.... (Désolée je suis incapable de retranscrire l'accent qui vaut son pesant de noix de coco...)
- Tu veux faire affaire avec moi.
- Non, pas le temps, pas tout de suite...
- Si regarde, j'ai les bananes, les fruits, tout, tu me dis c'est quoi tu as besoin, je cherche.
- non pas ce soir, j'ai tout ce qu'il faut
- demain, on fait affaire demain, je t'apporte bananes un régime d'accord
- Bon demain peut-être c'est combien les bananes ?
- Tout le régime, 20 $ec
(ils disent : " dollars ici "... j'ai pas tout de suite compris que c'est la monnaie locale. Ca n'y change pas grand chose, de la monnaie local on n'en n'a pas...)
- C'est cher 20 $ !
- Non, pas cher, pas du tout. Toi Française, moi te dire le prix français, parce que les français pas beaucoup riches. C'est pas le même pour les Américains.
Laurent le trouve génial et lui offre une bière ainsi qu'à son copain dans l'autre barque. Et on verra demain pour les affaires.

Nous voilà de plein pied dans une île où les plaisanciers sont des vaches à lait. Bon j'insiste pas c'est la Noiraude qui va me faire sa tête de cochon toute la soirée...
S'agit pas qu'elle me gâte mon paysage...