1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20   

COUCOU NET
15ème


dimanche 17 mars 2002

English Harbour est un site remarquable. Des vestiges de forteresse imprenable imposent leur puissance sur le front de mer. Une fois dépassé l'éblouissement devant ce travail imposant et magnifique des anglais et de l'amiral Nelson en particulier, nous nous sentons quelque peu prisonniers de cette marina trop neuve et trop bien léchée. Un petit détour vers les contrées plus sauvages que promet Antigua nous tente. Nous décidons de changer de mouillage. C'est aujourd'hui le prétexte à navigation dominicale.
Nous remontons vers le Nord Est, enfin légèrement Est. Ne chipotons pas, c'est de toute façon face au vent. Mais nous avons tous les deux envie de naviguer. Nous n'avons que quelques heures de navigation en perspective, l'idée de tirer des bords nous amuse. Le vent annoncée 20 noeuds nous incite à prendre un ris. Mais nous sommes sous-toilés et nous sommes incapables de remonter au vent. Il n'y pas 15 noeuds de vent... On joue avec la mer qui est très belle, avec une houle comme nous l'apprécions d'à peine deux mètres et très longue... longue. On tire donc un bord formidable loin vers le large dans une sérénité totale, en chantant, en blaguant, en admirant les vagues, et les poissons volants qui se déchaînent. On se donne l'impression de prendre le large et c'est génial. Quand on décide de virer et qu'on se rapproche de la côte le cap Shirley qui aurait du se trouver à une longueur d'étrave nous paraît bien lointain. C'est le moment de jeter un oeil au GPS... et de penser un peu à la route qu'on doit faire. Qu'est -ce qu'il dit le GPS ? qu'en une heure de fantaisie vers le large, avec l'allure dominicale que vous savez, notre destination annoncée 5 milles à vol d'oiseau d'un coup s'affiche à 8 milles. J'adore tirer des bords comme ça. Ca me fait franchement délirer, quand j'ai le temps.... Le voilier qui avançait gentiment sur la mer en se penchant sous l'effort, finalement il a reculé. Mais la vie en mer des fois c'est mieux que la vie tout court. Quand on s'aperçoit que notre marche vers l'avant nous fait régresser, on peut facilement changer d'option, voire continuer au moteur...
C'est donc ce qu'on fait. Nous entrons en slalomant à travers les "cayes" dans une baie magnifique qui a l'air d'un immense lac, (preque aussi beau que l'Etang de Berre), grâce à la double barrière de corail qui protège l'entrée de Non Such Bay. Difficile d'imaginer qu'on est en plein milieu de l'atlantique. On s'engage dans une échancrure bordée d'une jolie plage très intime. Il y a tant d'espace que nous ne troublerons même pas les silhouettes de deux autres voiliers qui se dessinent plus loin vers le sud. C'est donc un mouillage sans histoire et des plus faciles dont on puisse rêver.

Je voudrais pouvoir vous dire d'une manière réaliste la couleur si claire, si sombre de la mer, cet éblouissement d'émeraude ou d'outremer, selon le regard qu'on y porte. Je voudrais pouvoir vous montrer la lumière qui jaillit du clapot tranquille de l'eau sur les cayes. Je voudrais pouvoir vous faire pénétrer dans la tranquillité de ce bout d'île inhabitée. Bien calée dans mon hamac, je me laisse fasciner par le soleil qui sombre derrière les cayes. Laurent à côté de moi déguste assis sur le hublot avant son "ti-punch". Nous faisons partie de ce merveilleux spectacle du ciel et de la mer qui se mélangent dans les éclats orangés du soleil couchant. Quel pur bonheur que d'être là tous les deux.

C'est souvent comme ça dans les mouillages ; on se réveille le matin avec un bonheur acquis d'espace et de calme et de sérénité. La matinée, le début d'après midi s'écoulent dans cet état de grâce. Et je ne sais pas trop comment parce que c'est très progressif. Peu à peu, l'espace se remplit, d'un je ne sais quoi d'agacement qui nous taquine... Un autre bateau vient mouiller à distance respectable. Pas de problème, y 'a de la place plus qu'il n'en faut. Une demie heure plus tard un catamaran avec 12 personnes à bord perturbe carrément la baie avec son chahut. Mais c'est une ambiance de vacances, comme le parti pris c'est la bonne humeur, on se dit que cette ambiance de fête c'est sympa aussi. Deux ou trois autres voiliers mine de rien, remplissent les trous. Un bateau arrive sur notre mouillage, on lui demande quelques égards... Rayon d'évitage oblige... Il recule donc poliment, gentiment. 3 hommes à bord, vraiment charmants. Mais ils sont loin de maîtriser leur manoeuvre. Le barreur barre à l'envers, et se retrouve sur nous... Heureusement que le vent est quasiment nul... Finalement l'indésirable voisin s'élooigne à une bonne trentaine de mètres pour poser son ancre. Ouf, ceux là ne nous dérangeront plus... Lorsque la nuit tombe on jette un oeil machinal sur l'organisation de la flotte ancrée là. Il y a plus de 12 voiliers, et nos trois lascars ont reculé très loin en arrière vers la barrière qui protège le mouillage... On se demande s'ils se sont rendu compte qu'ils avaient chassé. Pour qu'ils aient dérivé si loin, ça doit faire un moment que leur ancre est livrée à elle-même. Quelques minutes d'incertitude, finalement ça s'agite sur le pont... Ils reprennent leur manoeuvre. Et se repointent sur notre bâbord. Ils s'arrêtent à 20 mètres de notre étrave et balancent allègrement leur ancre à la flotte et se laisse reculer... On entend l'homme du mouillage qui déclare, "c'est bond elle croche"... Combien ont-ils mis de chaîne, 10 mètres... à peine... Ils ont au moins 5 mètres de fond là où ils sont, à quelques mètres de nous... Donc s'ils dérapent au milieu de la nuit, on les connaîtra de bien près. Mais on finit par être fataliste... et c'est chiant de toujours réfléchir pour les autres bateaux. Nous décidons de nous taire, d'observer jusqu'à ce qu'on se couche et de laisser faire le vent. Laurent dispose de 10 grosses défenses qu'il étale régulièrement tout autour de notre embarcation... Protection que je considère comme illusoire, mais ça rassure. D'ici trois heures on dormira presque tranquille si le vent reste régulier. Advienne que pourra...
Je ne passe pas une nuit idéale. Je ne suis vraiment pas tranquille. Je me lève quatre ou cinq fois dans la nuit juste pour voir si le mouillage change d'allure... Et si le cul des voisins tente une approche au nez de notre voilier. Mais la nuit reste merveilleusement constante, chaque navire immuablement rangé à sa place. Il y a une chance en veille pour les équipages maladroits. Heureusement, on en bénéficie tous un jour ou l'autre. Au matin on se réveille tout surpris que la baie soit devenue si peuplée. Nous avions encore en mémoire le site idyllique de la veille. Le charme est rompu. On décide de partir dans un autre coin.

Lundi 18 mars 2002

A 11 heures on quitte un mouillage devenu trop encombré pour notre goût. Et on décide de s'enfoncer dans la baie. Les cartes promettent des sites sauvages au coeur de la mangrove.. Il n'y aura peut-être pas de plage mais la solitude sera plus sûre au milieu des palétuviers. On traverse donc "Non Such Baie" en scrutant la mer pour y déceler l'ombre brune des cayes si redoutables qui sont semées partout dans la baie. Un dauphin apparaît à l'avant du navire. Laurent se sent mieux d'un coup. "Te fais pas de souci, il va nous montrer le chemin". Je ne sais pas ce que Laurent a vu comme film sur les dauphins mais c'est vraiment un animal mythique pour lui. Il se fie au dauphin guide, je garde un oeil vigilant sur la mer... Mais il est rigolo ce dauphin, il nage sur le côté et on voit son gros oeil rond qui nous lorgne d'un air très rigolard. De temps en temps, il remonte à la surface d'un violent coup de queue et reprend sa nage en biais... Lorsque nous arrivons à l'entrée du mouillage qui doit nous accueillir il disparaît en un instant. Nous allons nous nicher dans une belle échancrure en forme de trèfle à trois feuilles "clover leave bay" au milieu de la verdure. Nous sommes de nouveau seuls. Nous voilà les rois de ce mouillage . Plus tard, nous trouvons un passage pour aller faire un tour à terre. Nous suivons à pieds un sentier de chèvres à travers les épineux et les cactus pendant une bonne heure. Nous déambulons dans un village complètement isolé, au bout du monde ; on dirait un village de décor. Mis à part les coqs et les poules ; mis à part d'importants cheptels de chèvres qui semblent gambader en liberté ; mis à part un groupe de cinq jeunes gars qui jouent aux dominos sur le trottoir, quelques vieilles personnes qui nous saluent au passage et nous souhaitent la bienvenue... Ce sont des figurants posés dans le décor. Il n'y a rien de vrai dans ce village... Même pas un panneau qui signale son nom à l'entrée... pas d'église, pas de mairie... Ah si, on a vu un arrêt de bus, mais pas d'indication d'où il vient, ni où il va. Juste un panneau "bus stop". Rien n'est fini ici. C'est complétement irréaliste. Bien entendu, notre retour, isolés au milieu des palétuviers accentue cet effet étrange. C'est un sentiment tout à fait extraordinaire d'être ainsi abandonné à soi-même dans un endroit où on se sait en sécurité totale.
Donc grande cuisine ce soir : crêpes fourrées à la chouchroute. Ah vous connaissez pas ces crêpes là. Forcément, elles ne sont pas bretonnes. Non, elles ne sont pas alsaciennes non plus. Cette géniale option de crêpes nous vient directement de ma douce amie Hélèna, royal héritage que m'a laissé l'ASTIB. Notre repas du soir est très dégustatif. Si vous venez nous rejoindre, rappelez moi que vous aimeriez déguster les crêpes d'Hélèna. Ce sera un vrai bonheur de vous les faire.

Jeudi 21 mars 2002

Je quitterai à regret cet endroit de rêve. Mais nous avons un calendrier. S'il est assez libre, nous devons quand même le respecter. Nous avons notamment des obligations en Guadeloupe... Si, si, je vous assure que c'est vrai. Des trucs administratifs, des affaires à suivre, de loin car Olivier s'en acquitte très bien, mais faut suivre quand même. Il faut savoir qu'ici à Antigua, nous sommes injoignables. Pas de "site internet", pas de réseau GSM international. Impossible de gérer quoi que ce soit d'ici... C'était donc une trêve formidable, totale. Mais ce n'était qu'une trêve d'une petite semaine. Nous reviendrons quand nous prendrons la route du nord ...pour rentrer...

Lorsque nous quittons Antigua nous retrouvons les mêmes dauphins que dans la baie (le même genre). Ceux que nous avions côtoyés jusqu'à maintenant étaient plus petits avec des rayures sur le dos et un nez court. Les spécimens d'ici sont énormes. Leur dos est gris vraiment lisse. Le rostre est très long. Ils correspondent plus à l'image que je me fais d'un dauphin. Ils nagent plus en surface. On les voit remarquablement bien dans l'eau.

La navigation s'annonce vraiment chouette. Il y a de la houle mais elle nous pousse et ne nous gêne pas. Nous naviguons au portant, il n'y a pas d'allure plus sympathique. On file pile dans notre direction, ça baigne.
Discussion à bord. Laurent voudrait s'arrêter au nord de Basse Terre en Guadeloupe. Moi, j'aimerais mieux reprendre le mouillage de Dehaies que nous connaissons bien et qui est sympathique. Oui mais, il a raison, Laurent, si on refait toujours les mêmes sites, on ne découvre plus grand chose... Et puis l'aventure, qu'est de qu'on en fait ? Surtout que Dehaies c'est minuscule et qu'on en a déjà fait le tour.
D'accord donc pour une approche du Grand Cul de Sac marin et du mouillage de Sainte Rose que le guide annonce comme facile d'approche. Sur la carte, les barrières de corail, les cayes sont semées partout comme autant d'obstacles préoccupants. Mais il est vrai qu'en principe on voit ces "patates" largement avant de les toucher, d'une part parce que la mer se brise dessus, d'autre part, parce qu'elles font d'énormes taches brunâtres à la surface de l'eau qu'on ne peut vraiment pas louper. Après tout on commence à avoir une certaine pratique de cette navigation. C'est pas si terrible. Faisons fi de mes inquiétudes, j'ai cinquante deux ans aujourd'hui, je vais quand même pas lui faire un caprice de gamine qui a peur du noir.

Sept heures de navigation plus tard, Le GPS nous annonce l'arrivée imminente sur notre "way point". Le hic, c'est que la bouée noire d'atterrissage, nommée "PGC" sur les cartes et le guide, reste invisible. On scrute aux jumelles, on scrute à l'oeil nu. On essaie d'exploiter au maximum notre presbytie galopante. Cette maudite bouée noire reste invisible. Y'a bien une rouge là, juste en face, mais les rouges on doit les aligner après la noire. Si on y va direct, on ne respecte pas la passe en chicane à travers les hauts fonds. Comment faire s'il nous manque des repères ? Faut bien aller quelque part. La double barrière de corail qui arrête la mer vers le Nord Est est franchement visible. Les petits moutons qui agitent la houle sont d'une autre sorte. On repère aussi d'autres petits cailloux dangereux.
Et si la bouée noire avait été fraîchement repeinte ! Après confrontation des cartes et du GPS, c'est la seule solution. Donc on change de cap pour s'y pointer. On roule le foc qui devient farceur, un petit coup de moteur et en avant. Lorsque nous sommes à portée de jumelles de cette bouée rouge, Laurent confirme, c'est bien la "PGC. Y a plus qu'à aligner les deux bouées rouges suivantes, puis la verte qui nous fera entrer dans le passage et suivre ce chenal... selon le guide... Génial.
Sauf que la deuxième bouée est à plus d'un mille et qu'il faut des yeux de lynx pour la repérer et c'est pareil pour la troisième. Le guide nous les positionne plus proches. Etrange. Quand à la bouée verte qui signale la chicane entre les hauts fonds, celle là est introuvable. Normalement on aurait dû tomber dessus après la troisième bouée rouge. On regarde le plan, on regarde la carte, on regarde le GPS. Le PC ne positionne que la bouée noire d'atterrissage. Donc on laisse le PC, vu sa précision, on suppose qu'il vaut mieux naviguer à vue...
A vue dites-vous... Comment faire quand y'a une passe en chicane entre des bouées mais qu'il n'y a les bouées que d'un côté. Vous imaginez le problème ?
On avance à moins de deux noeuds. Si on va à droite de la bouée rouge qu'on voit on risque de toucher la ligne qu'elle signale. Si on va à gauche, il y a très vite un endroit délicat où on risque de toucher aussi et qui devrait être signalé par une bouée verte qu'on ne voit pas. J'insiste parce qu'on ne comprend rien, ni au guide, ni aux cartes, ni à ce qu'on voit. Vous non plus. c'est idéal. Vous baignez dans la même incertitude que nous. Faut pourtant progresser, la nuit va bientôt tomber. Vous vous y voyez sur le navire ?
Il avance mollement sur la pointe de la quille entre deux bouées rouges. On aperçoit à O,5 mille une tache claire sur la gauche. Est-ce là le problème qu'il faut éviter. Pendant qu'on se pose cette pertinente question, le sondeur d'un coup nous rappelle à l'ordre. Il nous annonce bêtement 2,50 mètres de fond. On a 2 mètres de tirant d'eau. Aïe aïe aïe, pouls qui s'accélère, suée violente sous les aisselles et frissons dans le dos, vue qui se brouille et réflexion tétanisée sur une urgence : demi-tour vite vite... En moins de temps qu'il n'en faut pour oublier son premier frisson Laurent engage son demi tour, face au vent... Juste pour pas accumuler les gaffes avec un empannage plus ou moins maîtrisé. Parce que quand même y'a du vent et de la houle et qu'on sait pas de quel côté il s'étale ce maudit caillou. Qui c'est qui a écrasé la pédale de frein ? Voilà ! On pile en douceur mais c'est net. Laurent fait marche arrière, on continue le demi tour sur place. On entend un frôlement très discret, le sondeur d'un coup annonce 2 mètres...Cr, cr, cro, crott... un espèce de grattement profond, raclement de sabot de la quille... et on se stabilise définitivement, vitesse 0 noeud, gîte imperceptible. Juste le temps d'un coup d'oeil entre Laurent et moi... Qui de nous deux formule notre seule pensée :"M.... on est tancké".
Il est 17 heures, dans une heure la nuit tombe. Il faut se déhotter d'ici d'urgence. Laurent se met à quatre pattes dans le cockpit, sous la barre à roue. Crise de désespoir, non point du tout. Simplement, il pousse le régime du moteur un peu plus que le ronronnement habituel. Pourquoi il fait ça par terre. Aucune idée, effet néfaste du stress peut-être. Ca rugit, ça brasse de la boue autour de nous. Ca commence à sentir le chaud... Le sondeur affiche toujours 2 mètres de profondeur et la vitesse 0 noeuds... Bon on est planté là bien penché, c'est pas une raison pour brutaliser le moteur qui n'y peut rien lui.
Laurent râle, je sens qu'il craque. "Ne crie pas Laurent, faudra bien qu'on s'en sorte..." Je ne comprends pas comment ça peut arriver aussi vite, être arrêté comme ça, si soudainement, par un haut fond invisible... Je n'arrive pas à y croire. Les solutions, y'en a plusieurs, la première qui me traverse l'esprit parce que je pense que c'est la moins difficile, c'est de s'assurer qu'on est à marée basse, (l'ordi peut nous dire ça) et d'attendre que la marée remonte pour continuer notre demi tour et nous dégager de là. S'il faut attendre demain matin, ça n'a pas grande importance. On ne se sauvera pas, et on peut passer la nuit là avec notre feu de mouillage. Je nous imagine très bien tous les deux un ti punch à la main en train de trinquer sous la lune à votre santé et à mon anniversaire... Vous imaginez la tête de Laurent quand je lui fais cette proposition. Et en plus je ne lui dis pas tout ce que je pense. Par exemple qu'à propos d'anniversaire on serait sur notre navire comme un décor très réaliste sur le gâteau qui est en dessous de nous... Mais il n'est pas d'humeur à déguster ce genre d'humour donc je m'abstiens.
Je me dis tout ça parce que dans le fond, je suis vexée comme un pou qu'on se soit laissé avoir par ce chenal mal balisé et pas conforme au guide de navigation. N'empêche, entre les erreurs de cordonnées "longitude, lattitude" sur les cartes, les erreurs de signalisation des passes en mer, et les écarts du GPS, comment allons-nous faire pour rester confiants dans notre matériel ? (A propos d'erreur, l'entrée de Vieux Bourg à Marie Galante vous envoie direct sur la barrière de corail si vous vous fiez aux cartes SHOM ou C-MAP. Après repérage d'un malentendu sur les fonds annoncés dans la passe de Marie Galante, (6 mètres au sondeur, 10 mètres sur le PC) on a suivi les bouées visibles et présentes, les cayes bien franches. Autrement dit, nous avons navigué à vue, c'était possible et ça nous a évité des problèmes.) Mais quand les bouées n'y sont pas... qu'on ne peut pas se fier aux cartes et qu'on ne peut pas naviguer à vue, on fait la cerise sur le gâteau d'anniversaire. Et on a l'air drôlement bête...

Mais les navigateurs avertis doivent s'énerver depuis une vingtaine de lignes. Faites donc gîter votre voilier au lieu de vous enfoncer dans le vaseux. Bien Messieurs, Merci à vous. (une telle idée vient forcément des Messieurs). C'est la même que Laurent. Virement de la grand voile... On attend, il ne se passe rien... Et le foc, mille sabords, à quoi il sert le foc ! Mais bien sûr qu'on est bête tout de même, non mais des fois, j'vous jure... Envoie du foc, pousse du moteur... Renuage de boue autour de notre jolie robe blanche... Le sondeur affiche 2 mètres, le loc OO noeuds. (j'écris double zéro, c'est la deuxième fois qu'il nous fait le coup, et cela vous permet de mesurer la gravité de la situation). NE RESPIREZ PLUS ! Je crois percevoir un nouveau cr.. cr.. jusqu'où ira-t-il ? Et le loc, pourquoi il décole pas le loc ?
Laurent fait comme vous, il ne respire plus mais il arrive à chuchoter, "ça y est on bouge..."
Je scrute, scrute le loc... Il ne se passe rien... enfin si, des centièmes de milles auxquels je n'ose pas croire. Tout doucement, imperceptiblement, le voilier glisse. C'est comme un miracle tellement c'est doux. Et le loc affiche enfin des chiffres de vitesse qui monte... On est à 0,2 noeuds, 0,5 1, 5 noeuds, on atteint 3 mètres de profondeur, on se tourne l'un vers l'autre avec la même phrase...
"On se casse d'ici..."
Cap sur les bouées rouges d'arrivée de ce lieu maudit. Calcul rapide, on connaît bien le mouillage de Dehaies, il est à 7 milles. Si le vent reste constant, au portant, on y sera juste avant la nuit...
"Tu pourras voir se coucher le soleil sur la plage de Grande Anse comme avec les Américains, mais depuis la mer cette fois. Ensuite je t'invite au resto pour fêter ton anniversaire. C'est pas génial ?". Mais je n'ai pas le coeur à trouver quoi que ce soit génial. Je suis encore secouée par notre atterrissage forcé dans la passe et en plus je suis vraiment soucieuse de nos conditions d'arrivée dans le noir au prochain mouillage. Le resto, j'aimerais mieux demain quand je serai remise de mes émotions, et s'il vous plaît pas de gâteau, avec ou sans cerise...

Mais mon état s'arrange vite. Jusqu'à Deshaies, ça se passe plutôt bien. On commente notre aventure, on commence à la trouver plutôt comique. Les 7 milles sont faits en à peine plus d'une heure et le soleil tout juste couché nous laisse un peu de crépuscule pour qu'on entre dans la baie avec suffisamment de lueurs pour se repérer et surtout repérer les autres navires.

On se case à l'abri des voiliers déjà installés, un peu trop près du bord à mon goût, un peu trop près du rocher à mon goût. Il y a 4 mètres de fond. Laurent a raison, on ne devrait pas se payer un autre tankage. Mais avez-vous déjà vu qu'en mer, il se passe toujours ce qu'il doit se passer ?

Dimanche 24 mars 2002

Nous venons de profiter de deux jours vraiment tranquilles à Dehaies. On était bien isolé du reste de la flotte au mouillage et personne ne s'est aventuré dans notre zone. Hors quelques tortues qui venaient régulièrement faire des ronds autour du voilier. Je suis toujours émerveillée par ces taches brun-vert, qui ressemble à des paquets d'herbes qui flottent et dont la petite tête d'un coup pointe comme un ressort. Mince à alors, c'est vivant. Je ne m'en lasse pas.

Mais nous avons de la route à faire, nous décidons de reprendre la mer pour une navigation d'une trentaine de milles vers le sud. Les caprices de la mer et du vent nous ont imposé une halte dans la marina de Rivière Sens, à quelques kilomètres de Basse Terre. L'accès dans cette marina n'est pas commode. Nous comprenons ici, que nos problèmes de marques, de bouées, de repères qui ne collent pas aux documents écrits, c'est de la faute au cyclone ; ça veut dire que le dernier cyclone, Lenny, qui a particulièrement frappé la mer Caraïbe a fait des dégats considérables... D'où les bouées fantômes ou carrément déplacées... On comprend mieux nos problèmes d'accès à Sainte Rose. Faudra s'en souvenir.

Nous devons continuer notre route ces jours ci vers Pointe à Pitre. Ensuite je prendrai des vacances "coucou net" jusqu'après le 15 avril...

Je vous souhaite à tous, à toutes d'excellentes fêtes de printemps. Je pense à la foire de Padoux. Je pense aussi aux festivités à Rambervillers. Je pense tout simplement à Pâques pour vous tous.

A bientôt...