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COUCOU - NET 3ème émission
Jeudi 15 novembre 2001. Carthagène toujours.
Il pleut des cordes. 6° au réveil joyeux du clairon ... Je guette
l'arôme délicat du café de Laurent avant de me "déhotter".
(comme on dit dans mon doux pays des Vosges). Concertation à trois autour
des tartines beurrées: Laurent, la météo et moi. On se
contraint à rester là encore aujourd'hui. Aucune nécessité
d'affronter un vent de face plus ou moins sûr, et de la pluie en masse.
Il faut garder à l'esprit qu'on n'est pas là pour se prendre la
tête. Vous pouvez compter sur moi pour vous le rappeler.
J'espère que Laurent ne sera pas souvent d'humeur grise parce que dans
ces cas-là son traitement radical, c'est un resto sympa. Gare à
nos finances si c'est fréquent.... On se harnache donc de cirés
et parapluie et on repart à l'assaut de la ville. Ca ne me dérange
pas trop. Je suis comme tous les gens un peu "flous" dans leur tête,
j'adore marcher sous la pluie... Je compte bien sur le chauffage de Jo pour
me sécher au retour. Laurent nous a repéré un resto de
pêcheurs fréquenté essentiellement par le voisinage du port.
Ambiance pause déjeuner des gens qui travaillent. On se sent vraiment
bien. C'est un bonheur intégral ce gastro besogneux. Petits calamars
à la plancha et fritures variés, espadon grillé... Des
délicatesses inattendues aux saveurs de friandises. Nous sortons de là
complètement repus, parfaitement armés pour une virée à
travers la ville humide. On aura arpenté Carthagène dans tous
les sens. Je garderai l'image d'une ville dans la grisaille et la tourmente.
Une ombre planquée derrière un mur en ruine se pique au milieu
des détritus, à deux pas d'une magnifique rue marchande aux trottoirs
dallés de mosaïques. Salut Carthagène (que les Espagnols
écrivent Cartagena)
Vendredi 16 novembre 2001.
Le soleil est revenu. la température est remontée de quelques
degrés.
On pense à l'anniversaire de Grand'Maman. Gros bisous à elle.
Vent ou pas vent cette fois on décide de partir... On quitte notre premier copain d'étape qui partira pour Gibraltar la semaine prochaine... Je ne connais ni son prénom, ni celui de son bateau... Promesse de se retrouver plus tard soit par radio, soit ailleurs. Ces rencontres fugitives m'ont toujours enthousiasmée. On échange ce qu'on a de meilleur... Et peut-être qu'on se reverra, avec déjà des sensations communes, des souvenirs communs et peut-être des sentiments.
Bien entendu on quitte la baie au moteur, et on avance pépère sur une mer sage et confortable, sans un pet d'air... Laurent est aux anges. Il a capté par radio un ami cher de l'équipe des tourangeaux. Incontournable radio amateur des liaisons longue distance, ami Jacques, F5TA, quelle merveilleuse surprise de t'entendre. Laurent s'incruste dans la liaison avec l'Australie. Impec... Surprise et bonheur de Jacques... A travers lui, c'est toute la Touraine qui nous tombe dessus, notre jeunesse aussi. C'est l'heure nostalgie.
Dans la journée la température est sympa, presque estivale, une
quinzaine de degrés. On optimise le rendement moteur en s'aidant de la
grand'voile. C'est pas terrible. Mais la mer est vraiment sympa ; on reçoit
la visite familière du pipit qui se pose sur la plate forme arrière.
Puis s'enhardit. Il volette autour de nous, va prospecter sous la capote. Il
y reste quelques instants à l'abri du vent. Une miette l'attire sous
le banc, mais ce n'est pas conforme à son menu ordinaire et il néglige...
il revient sous la capote... D'un coup d'aile, il va faire un tour sur la bôme...
Petits coups de tête à droite, petits coups de tête à
gauche. Il inspecte l'horizon. Peut-être qu'il se pose aussi des questions
météo... Mâle ou femelle, ce sympathique petit oiseau ne
manque pas d'audace. Quelques dauphins nous croisent mais on ne les intéresse
pas... Ils font leur bonhomme de chemin et nous enrichissent d'images fugitives.
Lorsque le soir tombe, un premier quartier de lune se couche quasiment en même
temps que le soleil. Mais les étoiles suffisent à nous éclairer.
Je pense à vous, qui regardez peut-être Thalassa...
22 Heures. Laurent prend sa veille. La nuit est fraîche mais agréable. C'est une veille passive, il reste planqué derrière la capote. Le pilote automatique fait bien son boulot. Du fond de la cabine arrière, pelotonnée sous ma couette, j'entends vaguement des frottements d'écoutes sur le pont, le moteur au ralenti, et puis je m'endors.
Samedi 16 novembre
2 heures du matin. Le moteur ronronne toujours. J'ai dormi quelques heures.
je suis en pleine forme. Laurent peut s'offrir son tour de bien être.
La nuit est vraiment tranquille; l'horizon reste net, avec des feux lointains
de bateaux qu'on ne croisera même pas.
3 heures du matin. D'un coup je sens qu'on accélère et que la
grand voile prend le vent et nous "décape". (comprendre "modifie"
notre cap ). Le vent qui nous boude depuis plus de 12 heures choisit le moment
où je suis seule à la barre sur un bateau que je connais à
peine, en pleine nuit pour se manifester... D'un autre côté si
je me débrouille toute seule pour envoyer ce monstre de foc, ça
serait plutôt rassurant pour moi. Je vous ai pas avoué mais j'ai
un foutu problème avec la barre à roue. (en secret je l'appelle
la "grand roue", c'est vous dire à quel point elle me panique).
Quand on navigue avec une barre franche, on ressent les effets immédiats
des mouvements du bateau. C'est vraiment facile et simple à gérer.
On a l'impression d'être en prise directe avec la mer. C'est très
jouissif. Rigolez pas les mecs, je suis très sérieuse en ce moment.
Il se passe des choses importantes dans ma vie. Avec la barre à roue,
il faut au moins deux tours pour ressentir une quelconque modification. Il faut
redresser vite, et en général à ce moment là, j'ai
perdu tous repères par rapport à la ligne droite... L'inertie
à prendre en compte est terrible. Alors pensez donc, régler les
voiles toute seule en gérant cette grand roue, ça me défrise
un peu... Sans compter qu'immanquablement, lorsqu'on envoie le foc et qu'on
borde, il y a une écoute facétieuse qui se prend dans l'une ou
l'autre des bastaques. Bien entendu pendant que je me pose toutes ces questions
affreusement tangibles, Le vent passe au sud et on accélère, de
6 noeuds on atteint 9 noeuds... Vite, réagir. Je vais quand même
pas réveiller Laurent qui dort du sommeil du juste. Il a fait son quota
de veille lui. Etonnant tout de même que le mugissement du vent ne l'ait
pas réveillé. Donc il me fait confiance. Problème ! Ah
les filles, pouvez vous imaginer comme mon coeur bat fort tout seul dans la
nuit ? Seigneur, j'ai une de ces trouilles. Un regard appuyé à
l'horizon, il s'agit pas qu'un container fou me fonce dessus au moment où
je merde avec le foc ou la grand roue.. J'installe la manivelle dans le winch
; je coince l'italienne avec ma main droite ; je cramponne l'écoute sous
le vent; je n'ai pas d'autre main pour garder la 2ème écoute sous
tension, je décide qu'elle se coincera pas na ! Après tout, Laurent
n'est pas très loin. Tétanisé par le froid, il s'est couché
en anorak... Il sera vite sur le pont, bon pied bon oeil... C'est génial
de pouvoir compter sur lui. Mais t'en fais pas petit, je vais tenter la manoeuvre
toute seule au milieu de l'immense baie d'Alméria. Je libère doucement
l'italienne, et c'est parti. En 5 secondes le foc est envoyé, nickel.
Il s'ajuste parfaitement au vent. Bon, c'est vrai, mon écoute libre se
coince bien un peu, mais c'est pas méchant. Réglage de voile,
réglage de pilote, on file 8,2 noeuds, rien qu'à la voile. Il
ne fait aucun doute que Laurent a forcément entendu ma manoeuvre. Le
moteur au ralenti, les écoutes qui raclent le pont, le moteur qui s'arrête
et le bateau qui gîte... C'est pas possible qu'il n'ait pas capté
tout ça... Mais il est délicat et me laisse une chance de me dépatouiller...
Quel merveille d'homme que cet homme là ! C'est toujours étonnant
de réaliser combien les gestes simples peuvent prendre des dimensions
terribles en mer... Au bout d'une demi heure de navigation sympa, Laurent vient
jeter un oeil. Il est épaté qu'on aille si bon train... Si je
lui avais raconté, je suis sûre qu'il ne m'aurait pas crue. Il
se recouche toujours en anorak dans le carré pour se caler un peu mieux...
Ah que j'aime le chant du vent et la fuite de l'eau sur la coque dans ces moments
là...
Je reprends ma veille tranquille... Je suis aux anges. Il y a un peu de mer
qui se forme, forcément, mais le "brise de mer" réagit
parfaitement bien. J'ai quelques états d'âme. On va pas s'appesantir
là-dessus.
6 heures du matin, Laurent se réveille et c'est moi qui gèle.
Le grand bol de soupe traditionnel va me requinquer un peu... Mais ça
ne suffit pas. Je me re couche. A 10 heures on repart au moteur. La journée
qui va suivre n'est pas des meilleures pour moi. Je suis vaseuse, fatiguée,
comateuse, l'estomac douteux, le nez bouché, les yeux qui piquent...
La mer s'agite et moi je ronchonne. Laurent a repéré sur la carte
PC un port qui a l'air sympa, MOTRIL. On décide de s'y arrêter
pour la nuit et s'y refaire une santé.
A 15 heures on s'arrête en bout d'une des deux pannes. Seule place qui
semble libre, seule place passager de ce port minuscule. Assez sympa mais très
isolé. C'est juste une pause repos, rien d'intéressant à
y faire sauf et ce n'est pas négligeable enfin une station gas oil en
état de fonctionnement. On est samedi et le marinero n'est pas en congé.
Génial....
Dimanche 18 novembre 2001
On quitte Motril sous le soleil vers 9 heures le matin. Nous sommes tous les
deux confiants. On ne s'arrêtera pas à Malaga; il paraît
que le port n'est pas accessible et que les droits sont prohibitifs... On a
repéré des petits ports sympas sur la carte PC... Un petit village
côtier peut aussi nous dévoiler bien des charmes. On longe la côte.
C'est pas beau. Des immeubles aux abords des villes, d'immenses roches toutes
grises que les sommets de la Sierra Nevada enneigés éclairent
vaguement.
Les navires respectent les sens de navigation côtière, on est donc
très tranquille et on repart au moteur, vend S SW, quasiment nul.
Nous avions décidé de partir plus tôt, mais je vous raconte la merveille des merveilles. Vers 8 h 30, Laurent a jeté une oreille radio sur le 20 mètres, un appel hasardeux, au cas ou notre ami Jacques serait par là. Nous y avons retrouvé toute l'équipe des fidèles tourangeaux. Quelle énorme surprise. Des bouffées d'amitié ont traversé les ondes. Les irréductibles du QSO des tourangeaux étaient là. Je ne peux pas résister et je prends exceptionnellement le micro pour saluer ce joyeux monde. IL y a plus de 10 ans que je n'avais plus pratiqué la radio. Je suis enchantée de renouer avec eux. Ils font partie de notre histoire à Laurent et à moi. Vraiment les liaisons radio nous comblent. Entre le rendez-vous météo quotidien avec le Canada et les navigateurs radio-amateurs, et les amis à terre... C'est franchement inespéré. Ce n'est pas sur mer qu'on navigue, c'est dans les nuages. Jo, quand seras-tu à l'écoute...?
15 heures, il fait vraiment doux. Il est vrai que je n'ai pas quitté ma "turbulette". (la turbulette est une combinaison molletonnée très épaisse dont on habillait les nourrissons nerveux qui se découvraient la nuit dans leur sommeil. Ca pouvait remplacer les draps et couvertures). Donc Laurent et moi depuis que nous faisons de la voile sommes équipés de nos turbulettes en laine polaire. Et ce n'est pas du luxe. C'est un vêtement chaud et confortable qui nous laisse libres de tous mouvements. (méfiez-vous toutefois, ce terme n'a cours que dans le secret de cette chronique)
Laurent reste scotché dans le carré. Il tente de capter les cartes météo par radio. Il surveille tous ses fabuleux écrans et les connexions inter actives, PC, gps, pilote, navtex ... . Il s'éclate avec tout ce matériel. A vrai dire je ne sais pas vraiment ce qu'il fait. C'est son jardin secret dira-t-on.
Il émerge sous le soleil. La douceur ambiante le surprend. Il reste un peu dehors puis il décide de nous cuisiner du riz au chorizo. Un vrai régal. Après le repas, il redescend dans le carré quelques instants et réapparaît cul nul. Il déambule sur le pont, on dirait qu'il a envie de danser. Il est magnifique. Il y a dans ses yeux et au coin de ses lèvres une intense lumière. C'est aussi ça le bonheur. Je rigole. Entre mon allure emmitouflée dans ma turbulette et son derrière tout blanc et tout joyeux, on forme un drôle d'équipage. C'est pourtant très conforme à la réalité de notre association.
Laurent a fini d'exprimer sa joie de vivre. Je bûche un peu mon manuel de conversation espagnole et je reprends mon observation de la mer. Le muffin et son vol si particulier chasse autour du bateau. Je me demande pourquoi notre ligne de pêche trempe en vain depuis quelques heures dans notre sillage. Laurent bidouille sa ligne. Il décide de ranger sa mitraillette. Là je vous entends réagir. Bien sûr que non, vous n'avez pas suivi... C'est de pêche que je parle, pas de guerre. Donc Laurent roule sa mitraillette et la remplace par un rapala, (à maquereau précise-t-il, la dorade ce sera pour plus tard). Faut-il y croire à cause d'un muffin pêcheur? Laurent redescend dans le carré, le rapala est livré à lui-même. Comment voulez-vous attraper le moindre poisson dans ces conditions ?
A 17 heures on dépasse Malaga. 17h 30, on repère BENALMADENA. Nous apprenons par VHF, qu'il y a de la place pour nous au port. Je suis très fière de mes progrès en espagnol, vous aussi j'espère.
Et nous voici dans un autre monde. Benalmadena est une immense marina, toute neuve, noyée dans la brume du soir. Comment décrire ça ? On est époustouflé tous les deux, par le gigantisme de l'espace plaisance. Les marinas sont alvéolées entre des constructions plutôt futuristes. Les toits sont en dômes, en coupoles, les quais ressemblent à des allées bordées d'alcôves. C'est une ambiance intime mais aussi très "conte de fée". On se croirait dans Aladin. Disons le franchement, c'est aussi affreusement artificielle. C'est clinquant, c'est tout neuf. La marina est un vrai village. Dans la nuit on fait un tour qui nous impressionne. Laurent se dit complètement bluffé. Il parle une fois de plus de repas au resto... Va falloir que je me décarcasse pour la cuisine ce soir...
Réponse à une question matérielle posée dans vos messages : Laurent est affecté d'office aux petits déjeuners et aux repas quand on navigue. Moi j'assume les vaisselles, toutes les vaisselles hé oui, plaignez-moi les filles, je veux bien... et les repas que je finasse vraiment bien quand on est posé quelque part... Mais ces affectations sont susceptibles de modifications... Faudra voir... Ne me plaignez quand même pas trop, je ne voudrais pas assombrir la magnifique soirée qui s'annonce pour vous.
Demain il fera jour, on ira voir ce qu'elle a dans le ventre cette ville étrange...
Si météo veut on reprendra la mer mardi... Gibraltar est à
une cinquantaine de milles, pour le prochain coucou-net....
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PROVERBE COUCOU-NET : Lorsque vous vous demandez s'il serait sage de réduire
votre voilure, c'est qu'il est urgent de le faire.