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COUCOU NET
14ème

samedi 9 mars 2002

Une semaine passée à Marie Galante, mais surtout une semaine passée à terre. Notre retour aux Saintes, plein vent arrière, nous a rappelé des souvenirs qui nous font sourire aujourd'hui... Comme quand on traversait et que la houle nous bousculait et nous faisait des bleus partout et que je rouspétais à longueur de "coucou net". Gentil rappel donc avec des creux d'à peine deux mètres, même pas de quoi nous déséquilibrer. Nous pouvions vaquer dans le carré sans nous casser la figure. Et surtout, il n'y avait pas de vagues intempestives pour nous pousser en surfs incontrôlés, version dérapage fatal. Mais cette navigation vent arrière n'a pas été des plus reposantes.
Arrivée en douceur dans le mouillage du bourg des Saintes sous un grain rafraîchissant, qui aurait été mieux venu un quart d'heure plus tard... Le vent nous décoiffe pour le moment. la chaîne nous balance gentiment, si je ne dynamise pas quelque peu ces lignes je vais m'endormir sur ma page...
Pouvez-vous imaginer combien nous étions heureux dans la maison douillette de Nicole et Gérard ? Finalement les trois heures de vent arrière qui nous ont menés ici, allure tangage et roulis associés, nous ont bien remis le pied en mer. Enfin pas si bien que ça, Laurent n'était pas folichon. Pour une fois, je me sentais mieux que lui... Je n'ai pris aucun risque, je ne suis pas descendue dans le carré.

A peine quitté Grand Bourg, Laurent a bien entendu remouillé sa ligne. Une belle prise mais qui ne nous inspirait pas. On risque d'en perdre beaucoup des poissons à force de pas savoir les reconnaître. Celui là avait l'allure d'une carangue barrée d'une belle ligne jaune, le ventre gris sombre, le dos gris clair ; on aurait bien voulu que ce soit une bonite mais on n'était pas sûr. Il devait faire environ deux kilos, donc on l'a remis à l'eau. Ami Gérard de Marie galante si tu connais ce bestiaux, peux-tu nous mailer s'il est comestible et si tu l'as reconnu, quel est-il donc ?

Pour ceux qui ne disposent pas du guide incontournable de croisière aux Antilles, il faut que je précise que mes histoires précédentes à propos des escargots qui tuent et autres cailloux toxiques ou noix de coco assommoirs, c'était de la fantaisie. Aucun de ces prédateurs ne nous attaqueront pour de vrai. Touchons du bois... Parlons vrais dangers.
Le premier est en mer. Qu'ils soient amateurs ou professionnels tous les pêcheurs sont unanimes, la "ciguatera", c'est pas de la rigolade. Ne croyez surtout pas que tous les poissons sont comestibles. La pêche ici, c'est encore plus compliqué que la chasse aux champignons dans les Cévennes. On peut repérer facilement les champignons vénéneux pour peu qu'on s'y connaisse. L'amanite phalloïde des poissons, c'est le barracuda. Jusque là, nous on saurait l'éviter. Mais pour le reste ça se complique. Nous ne distinguons pas une bonite, d'une carangue ou d'un pagre... et c'est bien dommage parce que si on était sûr de notre bonite, on la dévorerait. Selon la zone, ce ne sont pas les mêmes espèces qui sont toxiques, mais la bonite, elle n'est jamais toxique. Ouf ! Nous avons aussi la daurade, celle là nous la connaissons bien. Mais nous n'en n'avons pas pris entre les îles jusqu'à ce jour. Ce privilège nous a été réservé pendant la traversée. Ce qui fait qu'il ne nous reste pas grand chose à consommer en direct de la mer.
Je vous résume le danger ciguatera. C'est une toxine qui se développe sur certaines algues. Ingérée par les poissons, elle contamine leur chair. Contamination que la cuisson ne tue pas, mais qui peut rendre gravement malade le pauvre pêcheur non averti. Surnommée aussi "la gratte" elle est particulièrement à craindre dans le nord des Antilles.
Donc notre prochain investissement sera en librairie pour nous permettre de repérer les poissons non vénéneux... Enfin il vaudrait mieux être sûrs de ceux qui sont toxiques. Celui de ce matin nous a fait vraiment de la peine.

L'autre terrible danger des Antilles est à terre. C'est le long du littoral, un arbre magnifique, qui borde les plages, le mancenillier. Comme tous les traîtres, il a l'air innocent. Il porte de grandes branches à l'aspect très protecteur. Il est majestueux, rassurant, on s'y blottirait sans méfiance. Son ombre est merveilleusement fraîche sur le sable brûlant. Il a de petites feuilles pointues un peu comme des feuilles de poirier. Il porte de jolis fruits miniatures au délicieux parfum de pommes. C'est terriblement attirant ce parfum de jeune pomme. C'est donc un arbre particulièrement redoutable. Cet arbre est souvent repéré le tronc cerclé de rouge. Mais pas toujours, il y a des spécimens isolés... Si vous entrez dans une forêt de mancenilliers, les affiches vous donnent le frisson.
* danger de mort.
* le fruit est vénéneux, la sève brûle gravement.
* interdit de s'y abriter de la pluie, risque de brûlure.

De là à imaginer que c'est cette pomme d'api qui a tué blanche neige, il n'y a qu'un soupçon que je confirme allègrement. Peut-être ne saviez-vous pas que la reine sorcière avait beaucoup voyagé sur son balai transatlantique. Elle a rapporté cette mancenille dans son sac. Dans un conte pour enfant on ne peut pas dire de telles vérités. Imaginez la sorcière, vulgaire touriste qui fait le plein de souvenirs locaux pour un usage ultérieur et remplit son sac de voyage. Cette image est indigne d'un conte pour enfant.
Tout ça pour dire qu'on ne rigole vraiment pas avec le mancenillier et qu'il continue à faire beaucoup de dégâts chez les humains depuis Blanche Neige.

Lundi 11 mars 2002

Depuis les Saintes au bourg de Dehaies en Guadeloupe au Nord de Basse Terre, 33 milles de navigation qui m'ont bien bousculée. Peut-être que j'étais fatiguée, peut-être que c'était un jour sans... Laurent a trouvé la navigation difficile mais intéressante, et moi je l'ai trouvée franchement pénible. Lorsqu'on longe la côte sous le vent d'une île on s'attend à de réelles pannes de vent. J'escomptais donc une navigation vraiment plate voire même quelques heures de moteur... Encore un coup, rien de ce qui aurait dû être n'a été. Lorsqu'on passe sous un sommet jusqu'à l'autre sommet on traverse des couloirs de vent et lorsque le vent au large est assez fort, derrière les mornes il se passe de drôles de retournement de courants d'air. Le vent quelquefois s'inversait carrément et on pouvait en quelques minutes passer d'un vent bâbord à un vent tribord. Sans compter les accélérations qui poussaient le bateau au lof de manière très violente. Le vent soufflait alors jusqu'à 35 noeuds. Laurent n'a pas lâché un instant la barre à roue. Moi, c'est bien simple, j'avais pas prévu de naviguer dans ces conditions ; je me suis contentée de me blottir au fond du cockpit en attendant que ça passe, en retenant ma respiration et en contractant le ventre un maximum. C'est toujours ça de pris pour ma sangle abdominale. C'était vraiment pas mon jour pour naviguer dans ces conditions.

Nous étions tous les deux tellement coincés par cette navigation perturbée que nous avons failli louper le mouillage. Heureusement que le GPS est plus vigilant que nous et qu'il a couiné méchamment pour nous forcer à réagir.

Le mouillage de Dehaies nous plaît bien. La ville blottie au fond de la baie est gentillette. Juste deux rues qui se rejoignent à chaque bout de la ville pour former la route nationale qui va de Pointe à Pitre à Basse Terre par le littoral.
Nous avons fait de belles ballades dans une forêt sauvage et splendide. L'une d'elle grosse déception devait nous mener à une plage, un bar qui devait nous offrir sa fraîcheur. Manque de pot, nous nous sommes cognés dans une falaise et le bar était fermé. Nous nous sommes pas mal déroutés pour buter sur cet échec... Le retour s'annonçait pénible. Nous n'avons pas eu le temps de nous faire vraiment la tête, une voiture louée par un couple d'Américains nous a embarqués au passage. C'était leur dernière soirée de vacances, ils étaient nostalgiques déjà... Nous avons partagé leur dernier coucher de soleil sur la mer, Laurent les a pris en photo sous le ciel qui se fermait. Ces personnes remarquables ont fait des efforts pour nous comprendre et pour mettre leur anglais à notre portée. D'un éclat de rire à l'autre, on s'est retrouvé à bord tous les quatre pour festoyer autour d'un cassoulet au confit de canard géant (géant le cassoulet pas le canard) et d'une bouteille de bordeaux... J'adore ces rencontres éphémères qui permette d'échanger avec des personnes hasardeuses ce que chacun de nous a de meilleur.

Jeudi 14 mars 2002

Magnifique réconciliation avec la navigation. Nous avons fait 42 milles en allure de largue au large pour arriver à English Harbour, île indépendante d'Antigua, dans l'après midi. C'était génial. Pendant plusieurs heures nous avons longé l'île de Montserrat à distance respectable. Nous avons essayé de déchiffrer les mystérieuses colonnes de fumée grises qui s'échappaient des sommets, nous avons essayé de comprendre les bouffées de poussières sombres qui semblaient dévaler sur certain flanc de montagne. Mais Montserrat a gardé son secret. Elle est interdite d'accès (depuis 1995) à cause de son volcan toujours actif et des mouvements de terrain qui secoue certaines zones.

L'arrivée à Antigua est étonnante. La baie de English Harbour est vaste. Au fond elle se divise en deux bras qui se perdent dans la mangrove. D'immenses bateaux, des 3 mats, des goélettes, des bateaux tous neufs aussi beaux que des antiques, envahissent l'entrée de la baie. Nous nous réfugions donc au fond de la mangrove. Nous y sommes isolés, coupés de tout, c'est un trou à cyclone réputé, le bonheur quoi.

Cette marina destinée aux grosses unités est aujourd'hui largement inspirée du modèle américain, ça ne fait aucun doute. Le style voyant des boutiques et équipements installés ; l'aspect aseptisé, impersonnel des rues ; la propreté méticuleuse et tout ce vide entre les maisons. Peu importe nous avons fait une découverte remarquable du littoral à partir de la forteresse construite par l'amiral Nelson. En son temps, il en avait fait un bastion imprenable. C'était les temps difficiles où la France et l'Angleterre se chicanaient joyeusement au détriment des populations caraïbes. La végétation que nous avons croisée est une végétation sèche qui se rapprocherait de nos espaces méditerranéens : aloès, tête de turc (nom local donné au cactus qu'en Guadeloupe on appelle tête d'anglais, allez savoir pourquoi ?), épineux buissonnant cousin de notre argéras, et bien entendu l'inévitable mancenillier en spécimen isolé.

Samedi 16 mars 2002

Aujourd'hui découverte de Saint John, capitale d'Antigua par la route. Nous improviserons pour pas nous coltiner les 2O km à pieds. Et c'est extraordinaire parce qu'à peine sommes nous sortis de la marina qu'un mini bus s'arrête à notre niveau... Direction ST John, il nous embarque illico. Il y a un arrêt de bus tous les km. Mais si quelqu'un fait signe, le bus s'arrête pour le charger. On n'en finit pas de s'arrêter. Au moins, on a le temps d'admirer le paysage. Lorsque la vingtaine de sièges prévus est occupée, les passagers installés se déplacent pour faire la place à ceux qui arrivent sur des strapontins. On finit par être une trentaine. Nous sommes alignés par quatre, on est serré, ça pourrait paraître intime et ça ne l'est pas du tout. Pas un mot n'est échangé entre les passagers, pas un regard n'est retenu, pas un sourire n'est rendu. On dirait que chacun de nous voyage pour son propre compte. Chaque passager est enfermé dans son circuit personnel. Aucune communication possible. Je n'ose même pas tenter un geste, ni le moindre son. Le hasard des chargements fait que Laurent est refoulé au bout de ma rangée et il me paraît inaccessible. Je n'ai jamais été si proche de quelqu'un physiquement et si isolée, si refoulée dans mon propre monde en même temps.
Lorsqu'un voyageur veut descendre il crie " bus stop" vers l'avant. Souvent le chauffeur qui écoute la radio n'entend pas, il faut crier plus fort... Alors le bus pile... Le passager descend, un peu plus loin que prévu, il passe à l'avant du bus et paie son voyage au chauffeur par la fenêtre. Ca me paraît extraordinaire que les gens paient après le voyage au moment où ils quittent le bus, et que personne ne resquille... Quel admirable respect de contrat.
Lorsque nous arrivons en ville nous ressentons toujours cet isolement. La ville est bruyante; elle est envahie de grosses voitures, très bichonnées. Nous n'avons vu aucune vieille chignole, aucune caisse à savon. Les hommes sont noueux, secs quel que soit leur âge. Les jeunes filles sont fines, souples délicatement maquillées. Les jeunes femmes affichent une généreuse opulence. Quand c'est moi qui parle de femmes opulentes vous pouvez les imaginer carrément obèses. Nous sommes, Laurent et moi, émerveillés par les coiffures qu'elles portent; nous n'avons jamais vu telles variétés de montage capillaire. Les hommes très souvent portent le fameux bonnet rasta en laine lâche qui fait de leur tête une brioche parfaitement gonflée. Lorsqu'ils ne sont pas couverts de ce bonnet étonnant, ils portent des tresses de toutes sortes de fibres, de toutes sortes de couleurs qui sont aussi compliquées que variées. De ce tas de foin fusent quelquefois des tiges qui se dressent de travers comme des cornes qui ne sauraient pas comment sortir. Portées à l'extrême, ces coiffures masculines quelquefois négligées peuvent aussi évoquer de monstrueux nids à puces.
Difficile de changer de peau mais, si nous confions nos cheveux à un coiffeur local, cela modifierait-il nos relations avec la population d'Antigua ?
Si nous confions nos cheveux à un coiffeur local, cela modifierait-il nos relations avec vous ?