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COUCOUNET - 7ème édition
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Jeudi 13 décembre 2001 Las Palmas GRAN CANARIE

La météo est toujours défavorable pour les jours qui viennent. (Vent S/SO 2 à 4 noeuds ? Nous n'allons tout de même pas partir pour un périple annoncé de 850 miles au moteur ! Le rendez vous Alizé est pour samedi. Ca nous va. Ainsi nous ferons un peu de tourisme. Nous décidons de louer une voiture et de partir à la découverte des terres.
Premier moment de jouissance totale lorsque nous nous asseyons dans la voiture. Incroyable comme on se sent bien lorsqu'on a le derrière calé dans les coussins. Nous sommes fascinés de la vitesse à laquelle nous avançons dans les rues pourtant fort encombrées. J'en conviens aujourd'hui, vivre en ville à pieds lorsque les services de transport urbain sont rares, c'est épuisant. Epuisant pour nos pieds, épuisant pour nos têtes, nos oreilles en particulier, épuisant surtout pour mon dos.
Les quartiers autour du port et la partie de la ville appelée Isleta sont des centres urbains modernes, affairés et bruyants. La concentration urbaine à Las Palmas est affolante. Nous sortons difficilement de cette zone.
Autoroute du Sud, une direction "Vallée Juvamar" nous paraît de bonne augure. A ne se fier qu'au nom indiqué on se retrouve à échelle plus réduite au quartier "frais vallon" de Marseille. Ce ne sont pas des endroits destinés aux touristes. Les immeubles font 3 ou 4 étages. Ils sont posés un peu n'importe comment. On a l'impression que les façades ont été peintes avec ce qui restait de pots de peinture d'un immeuble à l'autre. Depuis le front de mer, c'est du meilleur effet. Ca fait des taches colorées et vivantes sur la roche noire. Mais de près c'est autre chose. Les bords de route et tout l'environnement sont envahis de plastiques, gravats, détritus de toutes sortes. Nous croisons des enfants qui sortent de l'école, des gens affairés qui rentrent chez eux. Nous sommes déconcertés. Le peuple que nous croisons n'est pas en harmonie avec le quartier. Ce sont des gens très soignés. Les gamins ne jouent pas au foot avec leur cartable, ils sont en uniforme. les femmes poussent de magnifiques landaus...
Nous finissons par sortir de la ville. La campagne est lugubre. Des montagnes de roches noires nous cernent. On a l'impression de grimper sur d'énormes crassiers. Des palmiers rachitiques et même les figuiers de barbarie font peine à voir. On prend la direction de Santa Brigida. C'est un autre monde. Ville dortoir, magnifiques villas, magnifiques rues ombrées... En face d'un hôtel 5 étoiles on trouve un alignement de restos. Ouf, on meurt de faim et on ne trouve pas une boutique dans cette ville résidence.
Repas économique et sympa (80 Frs pour nous deux tout compris) bouclé en moins d'une heure. C'est vrai qu'on apprécie la vélocité des serveurs. A peine êtes-vous assis que la carte vous tombe sur la table. A peine la carafe d'eau est-elle sur la table que l'entrée vous est servie. Vous avez tout juste fini votre assiette que la suivante est déjà posée à côté. Génial.
On repart vers le centre de l'île. Sur l'autre versant le panorama change complètement. La campagne devient verte et opulente. Des arbustes magnifiques qui sont en France des plantes d'appartement dont j'ignore le nom inondent l'espace. Il y en a le long des routes, il y en a dans les jardins, il y en a dans les terrains en friche, il y en a partout. Ce sont de grands arbustes qui donnent un air de fête à la campagne. Les feuilles du bas sont vertes et plus haut sur la tige, elles deviennent rouges. En haut des tiges il y a une espèce de grappe de fleurs jaunes... Celles que nous trouvons chez les fleuristes sont un peu les petites soeurs de celles-ci. Les palmiers sont immenses et n'ont pas été dépouillés de leurs vieilles branches qui pendent le long du tronc comme de la paille. On dirait qu'ils sont en robe de chambre. Il y toutes sortes de cactus géants. Le fameux candélabre toujours minable sur nos terrasses étire ses grands bras pour toucher le ciel. Les figuiers de barbarie sont larges et gras. Il y a aussi de grands eucalyptus. Nous nous demandons comment cette végétation si diversifiée peut cohabiter. Mais nous ne sommes pas des spécialistes et cette question ne ne nous étonne pas longtemps. C'est si bon de se laisser émerveiller.
Après Vega de San Matéo nous montons vers le parc national. D'un coup on tombe dans une nappe de brouillard et nous ne voyons plus rien. Nous continuons de monter jusqu'au sommet dans le brouillard. On ne s'arrêtera que quelques instants pour faire quelques pas entre les eucalyptus dans l'air humide avec un rien de déception.
Sur le versant sud vers Telde on quitte le brouillard pour retrouver la mer. Tous les villages qu'on traverse bénéficie de la même architecture complètement anarchique. Il n'est pas rare que le mur d'une maison soit de plusieurs couleurs. Le bleu outremer s'oppose au vert billard sans le moindre souci d'harmonie. Quand au jaune (canari ?) c'est la couleur maîtresse des habitations souvent mélangé à du blanc ou à une autre couleur. La plupart des édifices publics et souvent les églises sont de ce jaune plus ou moins ocre. Les villes ont l'aspect béton des villes nouvelles. Rien à retenir.
On revient à Las Palmas et nous avons un aperçu du vaste espace touristique du littoral et des plages immenses et magnifiques.
Mais à part les plages, je crains qu'il n'y ait pas grand chose de passionnant à faire à Gran Canarie.
Nous profitons de la voiture pour repérer la cathédrale et les vieux quartiers de Las Palmas. Découverte à faire demain, à pied... 3 km du port...


Vendredi 14 décembre 2001 Las Palmas Gran Canarie

La cathédrale de Las Palmas est un édifice en espèce de grès gris-noir; probablement la roche volcanique locale. Elle date de 1570, mais à part son énorme silhouette elle n'a rien d'admirable ; deux clochers de chaque côté et une sorte de tabernacle ouvert et vide dépassent du fronton. Pas une statue, pas de découpes de pierre façon dentelles... C'est sombre, c'est sobre. Il paraît que l'intérieur est riche et magnifique mais elle est fermée lorsque nous nous présentons. Nous ne sommes hélas pas du genre à poireauter des heures devant une église. Nous quittons les rues piétonnes dont la foule déborde des boutiques pour nous enfoncer dans les petites rues de quartier. Notre promenade prend une autre dimension. Les appartements donnent directement sur le trottoir. Les gens qui passent s'arrêtent, toquent à la fenêtre pour parler à leurs voisins, voisines... On croise un homme endormi sur son canapé. On salue un autre qui regarde la télé vautré dans son canapé. Les gens disent bonjour, ils sont souriants... Ils sont à la fois dedans et dehors. C'est la vie intérieure des familles posée à fleur de trottoir.
Nous rentrons fatigués mais contents de notre balade.
La météo se prolonge dans les mêmes conditions mais on a décidé que si le vent ne venait pas à nous, c'est nous qui irions à lui. Ras le bol d'attendre. C'est décidé nous partirons demain...


Samedi 15 décembre 2001

Nous attendons le "QSO" du capitaine pour avoir un dernier pronostic météo avant de prendre la mer. Les conditions ne doivent pas changer d'ici mardi. C'est décidé, on se casse.
A peine sortis du port, nous trouvons une mer croisée, houleuse. Vous savez celle là qui est idéale pour réveiller le mal au coeur. L'eau est grise ou bronze. Je déteste cette couleur. Depuis le départ des Baléares, le mal au coeur je l'ai de manière systématique. Je pense que nous restons trop longtemps abrités dans les ports et que je me désamarine.
Je vois défiler la ville, la cathédrale toute noire qui se détache comme une ombre monstrueuse au milieu des immeubles colorés de la ville. Je ne profite guère de ces images. Je ne me sens vraiment pas bien et Laurent ne vaut guère mieux que moi. C'est particulièrement difficile pour moi. Un violent coup de cafard prend le dessus. Les garçons me manquent. Je pense à leurs taquineries, je les entends, je les vois et ils ne sont pas là. Je vous parlais de mal au coeur, voilà ça s'aggrave. Laurent est désolé de me voir si piteuse. Il fait le clown. Il me raconte des trucs compliqués pour m'occuper l'esprit et je fais semblant de l'écouter... Je me demande vraiment ce qu'on fiche là. J'en ai plus que marre d'être roulée d'un bord sur l'autre. La mer devient savonneuse, pas étonnant que j'ai l'impression de me casser la figure dès que je lève les yeux.

Intermède :
- Allô Docteur, ici c'est La Noiraude.
- Bonjour la Noiraude, c'est sympa de m'appeler pour me donner des nouvelles de votre croisière. Comment ça va ?
- Mal, Docteur, je vais très mal, j'ai le mal de mere
- Voyons La Noiraude, ce n'est pas dramatique. Vous savez cela arrive aux navigateurs les plus chevronnés. Vous allez vous amariner.
- Non Docteur, vous ne me comprenez pas. Je parle du mal de MERE. J'ai laissé mes deux petits veaux à terre et ils me manquent... J'en pleurerai...
- Vous avez des petits veaux La Noiraude ?
- Docteur ! Vous les connaissez vous étiez là quand ils sont nés. Votre distraction me peine.
- Ah, j'y suis. Mais voyons, il y a longtemps qu'ils ne sont plus des veaux. Ce sont de jeunes taureaux qui gambadent allègrement dans la prairie. Imaginez comme vous serez heureuse de leur raconter votre voyage quand vous les reverrez. Imaginez comme ce sera sympa qu'ils viennent vous rejoindre quelque part... Profitez de la mer, du soleil, du vent et de votre compagnon. Vous ruminez de travers, La Noiraude, méfiez-vous, ça va vous donner mal au coeur !

Dans la soirée je me sens mieux. J'avale deux bols de soupe.
On décide de tirer un grand bord vers le Sahara. A 9h le vent se réveille. On est au près mais du coup on accélère. On décide de prendre un ris dans la grand voile. Sous la lumière restreinte de la lampe de pont, c'est un beau cirque cette opération. Enchevêtrements de cordages et noeuds en tous genres, voiles face au vent qui battent le rappel. Dur quand on est à moitié dans le cirage. On finit quand même par venir à bout de cette prise de ris délicate. On file 6/7 noeuds, voiles réduites, on est plutôt contents. Pendant 12 heures on ne croise pas âme qui vive. Il n'y a pas de lune mais le ciel est clair. Et les étoiles donnent une lumière tamisée fort sympathique. J'ai rarement vu ciel autant étoilé. Ma parole, c'est presque une nuit de Noël.
On tire des bords entre 5 et 6 noeuds, à 20° de notre cap.


Mardi 18 décembre 2001, au large du Sahara Occidental...(Maroc)

Le temps est toujours au beau fixe et on tire toujours des bords vitesse hélas très restreinte, entre 3 et 4 noeuds dans la journée. La nuit on met le moteur (pendant environ 6 heures) pour permettre à celui qui dort un repos tranquille, sans souci de navigation. La mer à peine ridée déroule son tapis de houle, c'est magnifique. On se croirait au milieu de prairies ou de champs immenses et vallonnés. Quelquefois quand le vent souffle sur les terres il donne aux blés ce mouvement de vagues ample et magnifique. Mais ici l'immensité de l'espace est terriblement impressionnant. La mer s'étale et on avance en douceur dans ce champ immense aux couleurs moirées et changeantes. Lorsqu'il n'y a pas de vent en Méditerranée, la mer devient lisse et brillante, tellement lisse qu'on croirait glisser sur une patinoire. Ici, ça n'arrive pas. Il y a toujours, des rides, des bourrelets, des dunes... La mer ici est en mouvement permanent.
La température est douce et on se laisse simplement bercer. Nous avons vaincu le mal de mer. Je peux aller et venir sur le bateau très librement. Je fais la cuisine dans le carré. On mange dehors. La température est d'environ 20° dans la journée, 18° la nuit.... Je lis, je fais des mots croisés. On écoute beaucoup de musique aussi. (Autrement dit Marie Thérèse et L'ASTIB vous faites vraiment partie du voyage...) Nous avons des rendez-vous fixes qui ponctuent le temps et font que les journées filent à toute allure. A 8h3O le matin on passe un petit moment radio amateur avec l'un ou l'autre des copains de Touraine. Jacques (F5TA) et Roger (F6BWK) sont d'une fidélité remarquable. A midi, nos amis canadiens nous donnent la météo pour les jours à venir et nous conseillent la route. Le soir vers 20h Laurent passe une petite heure avec toutes sortes de gens. C'est le moment un peu plus intime avec Jacques quand il est là. Il y a aussi l'ami de Montpellier qui prend régulièrement des nouvelles et téléphone à José pour les lui transmettre. On retrouve plus ou moins les mêmes. A travers notre route qu'ils suivent depuis leur station radio, ils s'intègrent eux aussi à notre voyage. On leur raconte les étoiles, le ciel, les conditions de navigation et comment on avance. Et puis on blague. Il n'y a aucune obligation dans cette relation et c'est ce qui fait sa force. Il s'agit simplement de deux ou plusieurs personnes qui ont envie de partager un moment fort... Pareil que le coucou-net avec vous...


Nuit de mardi à mercredi.

Nous sommes à environ 150 miles de la côte. Nous avons remarqué sur la carte marine que les fonds de 1000 mètres de profondeur forment un plateau qui remonte à 50 mètres en plein sur notre route. Pas la peine de se dérouter. Y a pas de souci, avec nos deux mètres de tirant d'eau on a de la marge.
Je me réveille pour mon tour de garde... Laurent ne m'entend pas. Je passe la tête dehors... J'en crois pas mes yeux. Y'a des lumières de tous les côtés. Je sors comme une bombe...
Mince qu'est ce qui se passe ici ?
Laurent pousse un soupir.
- C'est incroyable. Tu fais bien de te réveiller. On est cerné par les bateaux de pêche. J'en ai compté 30 autour de nous dans un rayon de moins de
quatre milles nautiques.
- En face du désert, mais d'où ils sortent ces pêcheurs ?
Laurent me conseille de regarder dans l'eau.... Et alors je réalise qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. Le bateau avance sur un cercle de lumière phosphorescente. Les vagues d'étrave éclaboussent l'eau noire de gerbes étincelantes. Et lorsque mes yeux s'habituent à l'obscurité, je vois d'énormes éclairs qui traversent les vagues tout autour de nous. Je n'ai jamais rien vu de plus extraordinaire.
Ainsi nous sommes sur les fameux plateaux qui doivent être saturés de zooplancton. Comme vous allez le savoir le zooplancton c'est des micros crustacés qui dégagent cette lumière quand on brasse l'eau. Les éclairs sont tout simplement des poissons qui fuient autour de nous à travers le zooplancton. Et les pêcheurs... s'en donnent à coeur joie.
Les projecteurs arrière ou latéraux des navires nous renseignent sur leurs manoeuvres de chalutage. Selon qu'ils ont leurs feux de route ou pas, on sait qu'ils ont de l'erre ou qu'il n'en n'ont pas... Et on fait du slalom en tenant compte des 150 mètres de filet qu'ils peuvent tirer... Laurent est épaté. Il a mis le radar. Quelquefois, il ne sait pas s'il voit un ou deux bateaux, les éclairages se confondent. Le radar les positionne parfaitement et permet de voir leurs déplacements.
- J'ai l'impression d'être place de la Concorde à 7 heures du soir... Ca fait 2 heures que je slalom... Mais on sort de la zone. Je vais bientôt te laisser la barre...

Une heure plus tard on laisse les pêcheurs loin derrière nous. Nous sommes seuls avec la mer. Dans la nuit, on a l'impression de naviguer sur un cercle de lumière. L'écume s'éclaire de lueurs vertes et jaunes... Laurent épuisé a rejoint la couchette avant, et moi, je m'offre seule sous le ciel étoilé deux heures de magie pure et d'émerveillement.

Dimanche 24 décembre 2001

Depuis mercredi nous ne faisons plus de veille active. Nous naviguons dans un désert. Nous sommes seuls au monde au milieu des vagues comme des dunes à perte de vue. En quatre jours, nous avons croisé trois cargos , les deux premiers de très loin, le dernier c'était dans l'après midi et ça n'a pas posé problème. La nuit on se fie au radar pour nous protéger d'une rencontre fortuite. Il veille pour nous de 11 heures ou minuit jusqu'à 6 heures du matin. Laurent reste en début de nuit et je prends la relève à 6 heures. Pour rien au monde je ne voudrais louper le lever du jour. Je vous raconterai cela plus tard... Je n'ai pas fini de m'imprégner de ce miracle quotidien.
La nuit je dors dans le carré car j'ai l'oreille plus fine que Laurent pour déceler l'alarme radar. Lui, c'est les changements d'allure du bateau qui le réveillent. C'est important quand on navigue à la voile. Le moindre changement le sort de son sommeil. J'ai beau savoir qu'il est particulièrement sensible à sa position sur la couchette, il m'impressionne à chaque fois. Pour moi, gîter d'un côté ou de l'autre, ou pas gîter du tout, c'est pas ça qui me réveille quand je dors. Je me moque complètement de la manière dont je suis couchée. Aussi bien je dors assise ou par terre ou debout. C'est épatant comme ça. Nous avons chacun nos aptitudes, et elles sont importantes toutes les deux. Laurent c'est les mouvements du bateau, moi c'est le moindre bruit...
Et selon l'état de la mer, le bateau parle d'une autre manière. Les cordages grincent ou ils chantent, les voiles claquent ou sifflent. Lorsque le vent souffle de l'arrière la baume se prend pour un tuyau d'orgue. C'est une autre sorte de concert. La coque gémit, ou bien elle cause... Les vagues grattent, frappent ou caressent.
Souvent Laurent et moi on se regarde tout surpris. Au même moment, on croit entendre une voix humaine, un cri ou une mélodie... C'est simplement notre bateau qui vit avec la mer. Parole, les sirènes si c'est ça on les a entendues mais on ne les a pas vues...

Chaque jour Laurent met sa ligne à l'eau. Le deuxième ou le troisième jour, je me suis dit que ça devenait lassant cette manie de rincer son fil... Et puis on ne sait pas pourquoi ça a commencé à marcher, du maquereau pour commencer. Et puis le grand soir, la grande fête à bord, c'était vendredi soir, inouï, incroyable, j'étais convaincue que c'était seulement des histoires de pêcheurs à terre autour d'un pastis... Laurent a pêché une magnifique daurade, la fameuse, l'illustre dont je n'ose pas écrire le nom de peur de l'estropier, vous savez, la cori... Salut Eric.... On a pensé très fort à toi... Et on a trinqué à chacun de vous en dégustant cette merveille. Si vous pouviez imaginer le sourire fier et béat de Laurent...

Dimanche matin, 24 décembre.

C'est en principe notre dernière nuit de veille avant le Cap Vert. Nous nous rapprochons des côtes nous avons repris notre veille active. 4 heures du matin, je prends la relève. A 7h le jour se lève, on est à 20 miles de l'île de Sal, je devine les découpes de la côte... A 9 heures on est à 7 ou 8 miles, le soleil luit. Il fait 23 °, il fait délicieusement bon. On longe une île plate de roches sombres. Posés ça et là quelques sommets arrondis.
- On dirait des verrues, pire que ça on dirait des pustules... C'est moche non ?
Laurent n'est pas sûr de ce qu'il voit. C'est bête à dire, mais ça s'appelle le Cap Vert alors on attendait de la verdure... C'est un autre désert qui nous accueille, plutôt sinistre. La houle d'ouest 3 ou 4 mètres brise sur les rochers. Des gerbes énormes éclaboussent la côte. On aperçoit 2 éoliennes et d'énormes citernes Shell. On sait que l'entrée du port et de notre mouillage est par là... D'immenses nappes d'écume jaunâtre salissent la mer qui s'agite. Nous sommes inquiets, le mouillage risque d'être rouleur...

Pas la peine d'insister sur nos péripéties de mouillage. Il y a 30 voiliers dans un espace qui peut raisonnablement en accueillir une vingtaine. Presque tous en attente de météo alizé pour traverser... Certains sont là depuis 15 jours... Après 3 ou 4 tentatives d'accrochage de notre ancre dans un trou acceptable, on finit par se caser... Rude gymnastique pour mes épaules. Oui, y a un guindeau électrique pour l'ancre mais quand on refait la manoeuvre et qu'on la fait et la refait et qu'un orin a été annexé à l'ancre, forcément je cafouille quelque peu .. Un vrai cirque. Je suis épuisée quand on décide que là où on est on reste... Je suis fatiguée, vaseuse, déçue...

On prend l'annexe pour aller à terre. Le village s'appelle Palmeira au nord ouest de l'île. Et ce n'est pas du tout, absolument pas ce qu'on m'a raconté du Cap Vert.
Dès qu'on a posé le pied sur le quai, les gens viennent à nous. Ils se présentent, nous demandent d'où on vient... Comment ça va... Les gamins sont magnifiques, beaux comme des premiers communiants. Sont-ils déjà en habit de dimanche ? Les petites filles ne sont pas prêtes, même les toutes petites de 5 ou 6 ans courent devant nous avec des bigoudis sur la tête. On devrait se sentir en parfaite sécurité ici, sauf qu'on a été pollué par ceux qui parlent de la ville. Les autres plaisanciers vont à terre en laissant leur bateau ouvert. Ils laissent leur annexe à un anneau à quai sans surveillance. Nous on ne sait pas. On n'ose pas et on cadenasse aussi bien le bateau que l'annexe. Je pense qu'on a eu tort. Les gens qu'on croise précisent dans un français très approximatif et avec un sourire indulgent, qu'ici c'est un endroit bien, qu'il n'y a rien à craindre... et Joyeux Noel... Je n'ai pas bonne conscience, je crains que nous les ayons offensés.
On baragouine avec ces gens qui parlent exclusivement créole une espèce de bouillie de portugais et d'anglais... On se comprend tout de travers, et on finit au bar du village. Laurent offre un coup à boire. Comme on refuse le deuxième tour, on est invité à la soirée qui se passe sur la place...

On déambule un peu. Ce premier contact avec le village me déconcerte. Je ne me sens pas à l'aise du tout. Les neufs jours de mer ont "ensuqué" Laurent. Lorsqu'on rentre au mouillage, il monte le premier à bord et oublie d'attacher l'amarre avec moi à bord de l'annexe évidemment. Je dérive gentiment vers le large. J'ai les rames mais la dame de nage est foutue et je n'arrive pas à lutter contre la houle et le courant. J'ai l'air maline ; vous auriez pu m'entendre rouspéter jusque chez vous; et bien entendu Laurent était mort de rire. Sur le coup, je l'ai très mal pris. Je croyais me poser dans la cabine et dormir... Et je suis là dans l'annexe à m'éclabousser avec des coups de rame parfaitement inutiles. Et plus je m'énerve, plus je me trempe et moins je rame. Que je sois inondée de flotte ce n'est pas grave, le soleil aura vite fait de m'essorer... Mais zut je voudrais bien revenir au bateau. Je me sens affreusement ridicule et ça m'énerve... aïe Aïe aïe... Et Laurent rigole toujours depuis la plate forme du voiler au lieu de plonger à mon secours... Si je l'attrape celui là, je l'étripe... D'un coup, ma colère tombe et le découragement me tombe dessus. J'en ai marre, je me laisse simplement dériver vers le premier bateau assez proche. L'homme à bord m'a vu arriver, il ne rigole pas lui. il se penche au dessus de son étrave. J'attrape sa chaîne de mouillage et je me tire vers lui. On se regarde, on ne se parle pas. Je voudrais juste dormir. Je lui tends une de mes rames. On se tient comme ça quelques instants l'un à l'autre. Et moi, j'attends, c'est le vide absolu dans ma tête. Je me fiche complètement de ce qu'il fera... J'envisage de lâcher la rame, de me coucher dans l'annexe et de dormir, et lui il fera ce qu'il veut de mon problème...
C'est la seule idée qui m'effleure. L'homme a sifflé entre ses dents.... Un jeune homme tout beau, tout noir, se pointe dans un zodiac pétaradant. Il attrape mon amarre et me ramène tout simplement chez moi. Ce n'est pas un tarzan des mers, c'est tout simplement le "boy" de service.... Je le salue d'un geste, mais il ne me regarde même pas... Le sourire que je lui adresse se cogne au cul de son annexe. Il est déjà parti... Il a du bien ricaner de me voir si godiche. Comment faut-il faire pour exprimer, ma rage et mon désappointement vis à vis de Laurent, qui ne rigole plus trop quand j'arrive.
Mais quand j'arrive sur la plate forme, je me sens bien ridicule et ma colère est tombée. Finalement je rigole aussi et je m'affale sur ma couchette. Après tout il n'y a que ça d'important à ce moment là. Je ne veux rien savoir d'autre que le sommeil dans lequel je vais enfin me laisser tomber...

A 7 heures le soir on a préparé notre petit réveillon de mouillage... On a contacté les garçons par téléphone en début d'après midi. Je suis apaisée. La soirée et sobre mais sympa. On écoute radio cap vert qui émet de la musique de Noël, un tour d'horizon des chants de tous les pays... A Noël au Cap Vert on écoute "mon beau sapin" "le Noël blanc" et toutes sortes de chants qui parlent de neige. Pour les enfants d'ici je me demande ce que ça évoque le mot neige.

Dimanche 25 décembre 2001. Palmeira Cap Vert.

A 10 heures le matin, il fait 26 degrés. Mais le vent souffle doucement de l'est et nous rafraîchit merveilleusement. On se sent terriblement bien ici. Nous ne ressentons pas ce sentiment d'envahissement si fréquent dans les mouillages de vacances. Pourtant, il ne fait aucun doute qu'on se gêne plus ou moins... Les zones d'évitage ne sont pas franchement respectées. Il y a dans le mouillage une solidarité qui nous surprend et qui nous réjouit.
On n'a pas d'argent local et il n'y a pas moyen d'en trouver avant mercredi. Aucune importance. Un voisin nous a avancé 3000 escudos qu'on ne lui demandait pas et qu'on lui rendra mercredi. D'autres qui ont eu des problèmes en arrivant sont venus nous conseiller pour notre mouillage. On cherche le gas oil dans des jerrycans. Un quelconque bateau que nous n'avions pas repéré est venu nous en emprunter pour faire son plein en une fois...

Ce matin nous avons fait un tour dans le village. Il est pauvre. Les maisons sont précaires, plus ou moins finies. La rue principale est goudronnée. Il y a une petite place avec une rue qui va vers le port et passe devant l'église. Celle là est pavée. L'église, c'est plutôt une petite chapelle toute rose, on dirait une maison de poupée. Mais tout le reste, c'est des habitations en parpaings, rarement crépies, posées sur la terre tassée. On va de l'une à l'autre dans un dédale de venelles en terre battue. Les rares boutiques ne se différencient pas des maisons d'habitation. Pour acheter le pain, c'est une femme qui se pose sous un arbre avec un grand sac... On a mis longtemps à trouver la boulangerie.
Le village a fait la fête toute la nuit. On a entendu les échos de la musique à partir de 10 heures le soir jusqu'à 9 heures ce matin. Beaucoup de monde ce matin qui s'active. Mais ils ont tous plus ou moins la tête à l'envers. On a flâné dans le village et en dehors. Laurent s'est fait d'autres copains qui nous ont initiés au punch local. La vie est magnifique.

IMAGE COUCOU NET DU JOUR : La mer est belle, il ne se passe rien. Super, c'est qu'il va se passer quelque chose.

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Demain nous irons à la ville d'Espargos à 4 km d'ici pour relever notre boîte aux lettres et expédier ces nouvelles si on trouve on cyber café.

Pendant les jours qui suivent, je répondrai à ceux qui nous ont écrit et puis je vous parlerai un peu de notre vie ici. Notre prochaine étape sera l'Ile Sao Vicente, pour visiter PORTO GRANDE, (Mindelo).... Mais nous nous plaisons ici et nous souhaitons nous y poser quelques jours... Mon prochain envoi partira vraisemblablement de Mindelo.