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COUCOU NET 16ème Ilet au cochon-Guadeloupe.
Dimanche 21 avril 2002
Salut tout le monde. Salut tout particulier aux nouveaux abonnés de
notre petit journal de voyage.
Hé oui, nous nous enrichissons de mon frère Noël, heureux
retraité qui profite de ses loisirs pour s'initier à l'informatique
et naviguer avec nous sur le net. Je le sens bien pour être très
bientôt un expert du cyber espace. Nous nous enrichissons aussi des
amis tous neufs croisés dans les mouillages. Ils sont quelques uns
à présent. Bienvenue à chacun de vous et vivent les liens
inattendus que l'informatique va permettre de pérenniser.
Première journée de vote. Il est 18 heures locales. Première info radio : un électeur de Sainte Anne (Martinique) s'est fait jeter poliment mais fermement du bureau de vote. Il s'était présenté en maillot de bain et tongs aux pieds, attitude non citoyenne a décidé Madame le Maire du village;... C'est pas ça qui fera reculer le taux d'abstention. Le résultat étant ce qu'il est, c'est le commentaire le plus intéressant que je retiens de cette élection. Je n'ai d'ailleurs droit à aucun autre commentaire ; je n'ai pas voté.
Mercredi 24 avril 2002. Bourg des Saintes
Revenons à notre voyage. Depuis le départ d'Olivier, nous n'avons plus le même état d'esprit. Nous repassons sur ses traces. Il y a dans l'atmosphère des bouffées de nostalgie. Je lui ai téléphoné, j'ai téléphoné à José mais ils me manquent affreusement tous les deux. Heureusement qu'autour de nous les présences chaleureuses et sympathiques ne manquent pas. Il y a eu Alain, Annick et leurs joyeuses jeunes filles qui sont arrivés à point nommé. Leur visite a comblé le vide redoutable laissé par le départ d'Olivier et la longue absence de José dans notre quotidien. Nous avons passé avec ce petit monde une excellente soirée familiale. Nous avons parlé de vous famille lointaine. Ce rapprochement avec Alain et Annick nous a fait le plus grand bien. Nous avons aussi retrouvé des figures croisées au hasard des mouillages, en Espagne, au Cap Vert. Chacun se retrouve là pour préparer l'été. Vers le Sud pour ceux qui continuent, vers le Nord pour ceux qui rentrent. Ces multiples rencontres ont été un grand bouleversement pour moi. A force de vivre seule avec Laurent dans l'espace limité du voilier, il m'arrive de nous sentir "seuls au monde". Quelle erreur ! Même si la métropole et la plupart d'entre vous sont terriblement loin. Même si nous percevons notre vie de Velaux comme un autre monde. Même si vous êtes tous, à des milliers de milles de notre quotidien. La distance qui nous sépare n'est que provisoire. Le rapprochement s'organise. Ce n'est qu'une question de jours.
Depuis une semaine, nous avons repris la vie en mouillage forain.
Nous avons quitté l'effervescence de la Marina, les saluts et échanges
quotidiens avec les voisins de pannes. Nous avons quitté l'agitation
de la ville. Nous sommes de nouveau livrés à nous mêmes.
Nous regardons la Guadeloupe d'un oeil différent. Notre départ
est imminent. Chaque pas que nous posons est un pas ver le retour. Chaque
regard est un regard qui se perd.
C'est aujourd'hui notre dernière journée au Bourg des Saintes.
Le mouillage est presque désert. Beaucoup de navires ont déjà
quitté la Guadeloupe. C'est une journée grise de pluies intermittentes.
Une journée idéale pour le coucou-net. Les nuages filtrent la
lumière et tamisent la chaleur. Malgré l'humidité c'est
plutôt agréable. J'ai un souci toutefois. Lorsque nous étions
à quai, Laurent a décidé de "rincer", les mousses
de la cabine-avant qui avaient pris l'eau de mer. Il les a soigneusement rincées
au jet, rincées et rerincées... Il les a essorées en
les piétinant. Il ne reste probablement plus un grain de sel dans les
alvéoles. Le problème c'est que depuis une semaine nous passons
notre temps à les rentrer et à les sortir au soleil. (il faut
jongler avec les averses). Nous sommes très vigilants, nous exploitons
le moindre courant d'air. On se lève la nuit pour ouvrir ou fermer
le hublot dès que le délicat ploc ploc des gouttes s'annonce.
Malgré nos soins et nos attentions, les mousses n'ont pas apprécié
le nettoyage et dégoulinent toujours .... Si ce n'était que
ça, ce ne serait pas grave... Le problème c'est qu'elles s'imprègnent
d'une odeur de chien mouillé absolument infecte ,et je me demande ce
que nous allons en faire si elles ne sont pas sèches avant qu'on traverse.
Et si jamais elles finissent par sécher, quel délicat parfum
auront-elles gardé en mémoire. Suspens.... cette question doit
vous soucier gravement car ces mousses de la cabine avant sont celles de votre
cabine à vous, qui prévoyez de nous rejoindre quelque part sur
la route.
Nous ne savons pas encore exactement comment va s'organiser le retour. Nous
devons passer d'abord à Saint Martin. Laurent envisage de s'y poser
une semaine et d'installer un pilote "in board". Nous serions ainsi
nettement plus tranquilles pour la traversée. Nous espérons
aussi rencontrer d'autres voiliers qui partent en même temps que nous,
avec à peu près notre allure, et voyager "en flotte".
Je ne sais pas si on peut envisager de naviguer en gardant des distances régulières
entre les bateaux. L'idéal c'est de rester à portée de
VHF. Alors je me demande comment ça se passe si l'un de nous touche
du vent plus que l'autre et que l'écart se creuse. Le premier doit-il
attendre le retardataire ? Je me demande comment ça se passe si le
choix des routes est sensiblement différent. La distance est longue
mais il est vrai qu'en venant, nous étions en contact quotidien avec
Jean Pierre. Nous l'avions rencontré à Carthagène, il
voyageait en solitaire... Il était à 3 jours devant nous, et
l'écart est resté quasi constant. On s'est retrouvé aux
Canaries, à Palmeira, à Pointe à Pitre (bientôt
on se retrouvera à Saint Barthélémy). On se contactait
via le réseau du capitaine. C'était à la fois distrayant
et rassurant. Mais en cas de problème, on était un peu loin
l'un de l'autre.
Il nous arrive d'envisager d'embarquer deux personnes. Mais je suis encore
réticente à cette idée. Je ne me sens pas capable d'assumer
deux étrangers pendant un mois dans un espace aussi compliqué
que le voilier.
Si quelqu'un nous formule une telle demande à Saint Martin, nous y
réfléchirons plus sérieusement.
C'était quand même génial à l'aller d'être
tous seuls tous les deux. Notre liberté de penser et d'agir était
totale. Que ce soit au niveau des repas, au niveau du confort, au niveau de
l'espace à utiliser, au niveau de tous les échanges. Entre Laurent
et moi, la vie est tellement simple. Même en cas de conflit c'est facile
à régler. Mais si on intègre deux personnes inconnues,
ça va complètement bouleverser notre équilibre. Pour
ce qui vous concerne, quand trouverai-je assez de tranquillité ou d'intimité
dans le carré pour vous écrire ? Il y aura bien un des trois
autres qui interviendra pendant ce moment là, pour me demander un truc,
pour me proposer à boire, pour venir jeter un oeil sur ma frappe, pour
me demander ce que j'écris... Simplement pour faire sentir que j'y
passe bien du temps...
Depuis que la métropole s'est mise à l'heure d'été, nous avons perdu le contact avec nos amis tourangeaux et de Provence. La propagation n'est pas ouverte à cette heure là. Laurent est souvent en fréquence à 20 heures TU sur le 20 mètres. Cette information lancée via coucou net nous permettra peut-être le choix d'une autre bande ou d'un autre horaire, ok Jacques , Michel et les autres....
Savez-vous qu'Olivier à eu droit a des aventures palpitantes.
Et savez-vous que cela s'est produit non pas sur le voilier, environnement
des plus traîtres. Non pas sur la terre dont je n'ai plus besoin de
vous décrire les multiples dangers. Mais alors où ? Lorsqu'on
vit à bord, qu'on élimine, le bateau et la terre, que reste-t-il
? Non pas la mer. Non non point du tout ! C'est l'annexe parbleu ! Et c'est
encore une histoire de caye. Par délicatesse pour Laurent, Olivier
l'appelle "la caye des bouillons", mais les plus astucieux, surtout
si vous avez une carte de la baie de Pointe à Pitre à portée
de lecture, vous retrouverez le nom de ce vilain banc de cailloux à
fleur d'eau.
Donc à proximité de la caye en question, bien entendu hors limite
de la bouée verte qui la balise et bien entendu Laurent qui barre l'annexe,
et bien entendu toujours la même qui ronchonne.
- Je trouve qu'on devrait respecter le chenal. Y'a une caye pas sympa par
là.
- Mais non, je la vois la caye. En dessous, y'a plus d'un mètre...
Je n'insiste pas, c'est vrai qu'en annexe on va volontiers prospecter sur
les cayes. C'est sympa. On a pied et on y trouve de jolis coquillages, des
lambis si on a de la chance, qui sont de magnifiques coquillages très
dégustatifs...
Mais Olivier a la vue perçante et perturbe d'une innocente réflexion
ma tranquillité.
- Y'a un piquet là dans l'eau ?
Laurent ne s'émeut pas pour si peu. Puisqu'il dit qu'il voit le fond
très au fond...
"Pani pwoblem " dit-il comme un qui serait créole. "Pas
de problème" a-t-il dit?
On dresse l'oreille tous les trois en même temps. Un petit "croc"....
Juste un, et le piquet qui est à présent bien visible derrière
nous. Et un petit "pchiiiiiit".... qui n'en finit pas de pchiiiiiiiter.
Question muette sur nos trois visages.... On observe, on attend....Et on voit
un boudin du canot qui se plisse et se ramollit, comme une vieille peau qui
verrait fondre sa cellulite. Quelle horreur !
La baie est immense, nous sommes au niveau du chenal. Ni Olivier, ni moi ne
risquons de nager vers l'un ou l'autre bord. Vite des propositions :
- On devrait aller vers la bouée verte et appeler au secours. Elle
est à portée de main.
- On devrait faire demi tour et retourner au bateau à toute allure.
- On devrait pas s'inquiéter, y'a deux boudins gonflés. Il suffit
qu'il en reste un pour qu'on reste navigable.
- Et si les deux sont percés ?
Laurent a fait demi tour et on fonce vers le bateau. Je me dis que ça
se pourrait bien que le moteur cale et qu'on serait pas arrivé s'il
faut se mettre à ramer avec le vent contraire.... Je nous imagine,
scotchés à la bouée verte du chenal à crier au
secours... Saine pensée. L'image me fait hurler de rire dans ma tête
et ça étouffe ma mauvaise humeur. Finalement nous arrivons bien
mouillés à l'échelle du bateau avec un boudin de l'annexe
complètement ratatiné... Ouf sauvés. C'est là
qu'on se rend compte qu'en mouillage forain sans annexe, nous sommes en quelque
sorte prisonniers du voilier. Olivier en prend son parti pour s'offrir une
dernière journée de farniente... rêverie, sieste, et puis
sieste. Je crois qu'il a aussi mouillé une ligne. Je ne suis plus certaine.
Je ne me souviens pas du poisson. Et Laurent fort contrarié met tout
en oeuvre pour qu'un atelier répare dans les 48 heures et dès
lundi, la longue estafilade qui défigure le flan du canot.
Intermède culinaire :
Ici nous mangeons tout ce que nous trouvons d'exotique. Je cuisine le fruit
à pain, la christophine, la banane, l'igname. Cela donne des mets très
nourrissants à défaut d'être vraiment goûteux. Et
ça change des pommes de terre. Nous avons fait une vraie cure de banane.
On adore ça. Grillées à la poêle, elles deviennent
fondantes et comme caramélisées, à peine sucrées,
un délice avec le poisson. La Christophine nous la préférons
en purée rehaussée d'un peu d'ail et d'huile d'olive. Elle peut
se cuire "à l'étouffée" mais je trouve que
ça fait un légume un peu vitreux et je n'aime pas trop.
A Marie galante, l'arbre à saucisses inspirait beaucoup Olivier.
"Il faudrait greffer un arbre à saucisses avec un arbre à
pains, ça fera un arbre à sandwiches..."
Samedi 27 avril - Saint Kitts (Saint Christophe)
Nous avons fait une pause d'une nuit à Deshaies avant
de quitter la Guadeloupe pour envisager notre route vers le nord. Lorsque
nous sommes arrivés au mouillage du bourg, la baie était fort
encombrée. C'est la grande fête de la voile à Antigua
et une multitude de voiliers ont emprunté cette route. La plupart s'arrêtait
là pour la nuit. Lorsque nous nous sommes levés vers 7 heures,
il ne restait que 3 bateaux dans le mouillage. Nous avons donc passé
une journée merveilleusement tranquille à Deshaies. Nous avons
refait un peu de vivres pour la traversée au "Spar" du village.
Il paraît que l'avitaillement est inabordable à Saint Martin.
Nous décidons de n'y faire que le renouvellement de produits frais.
Nous quittons la Guadeloupe un peu avant 19 heures, juste avant la tombée
de la nuit. La pleine lune est déjà levée. La lumière
est extraordinaire. Environ cinq milles plus tard, un peu moins d'une heure,
je me rends compte que la nuit ne tombera pas pour de vrai. C'est le clair-obscur,
ni jour, ni nuit; la lumière est très crue mais la visibilité
est excellente. Une extraordinaire navigation nous est promise. Par moment,
un nuage passe devant la lune.
- Qui a éteint la lumière ?
Lorsque la lumière se rallume, on est presque ébloui. Formidable.
La houle ne donne pas cette impression d'ombres menaçantes qui foncent
sur nous. On voit clairement les vagues et les crêtes qui se déroulent.
Toutefois, il y a une éternité que nous n'avons pas navigué
la nuit et je ne peux contrôler un imperceptible frissonnement d'angoisse.
Quand j'était gamine ma mère m'envoyait quelquefois chercher
du lait chez les voisins. Il fallait juste passer devant notre maison, ça
prenait quelques minutes. Notre maison sur le devant n'était pas éclairée.
On vivait dans la cuisine à l'arrière de la maison, c'est là
qu'était la lumière. En hiver je devais passer devant la maison
noyée dans l'ombre. J'avais vraiment la trouille de passer là.
Je restais quelques minutes devant notre porte, je balançais le pot
à lait vers l'avant pour me donner l'impulsion de départ. C'était
affreusement dur de quitter la lumière sympathique du corridor. D'un
bond héroïque, je me lançais dans la rue. Je m'empêchais
de courir. Je m'empêchais d'allumer la pile (lampe de poche) juste pour
me prouver que je savais que je ne risquais absolument rien dans le noir et
que j'étais capable de dominer cette bête trouille. Mais j'avais
tellement envie de courir à toute allure. Surtout il ne fallait pas
que je me retourne pour voir. Une ombre me guettait à l'arrière
c'est sûr. Il ne fallait surtout pas lui donner de réalité.
Ce trou noir derrière moi me terrorisait si j'y pensais. Devant moi,
il y avait la lumière de la cuisine du voisin et surtout celle de l'écurie
légèrement à droite de notre jardinet. Donc j'avançais
vers la lumière en contrôlant mes pas et sans rien penser d'autre
qu'à la lourde odeur de l'étable, si réconfortante.
Les premières nuits que je passe en navigation m'imposent toujours
ce réapprentissage. Passées ces minutes difficiles où
je reste concentrée sur ce qui se passe autour de moi, je m'installe
dans un espace irréel et je me laisse simplement envahir par la sérénité
de la nuit. Mais je dois d'abord analyser les sons, les éclats de lumière
et les mouvements du bateau. Je dois d'abord pouvoir imaginer comment je me
déplace sur l'eau. Je dois d'abord ressentir les mouvements de la mer
à l'avant de l'étrave et sur les flancs du bateau.
Nous sommes passés sous le vent de l'île de Montserrat à
environ 5 milles. Nous avions tracé notre route au GPS avec les cartes
de l'ordinateur. C'est un régal pour Laurent et ça me sécurise.
C'est moi qui ai imposé cette large distance des côtes. Face
au volcan, (en vérité il était à notre travers)
nous avons nettement vu des jets de lave incandescents qui jaillissaient de
cet immense chaudron. Ils dégringolaient en larges langues rougeoyantes
sur les flancs de l'île. Puis la lueur s'éteignait, le calme
revenait. La crête du volcan se noyait sous les nuages pour quelques
minutes. Nous restions à l'affût. Une nouvelle giclée
de lave inondait la descente. Ca se passait loin et c'était terrible
ce qui arrivait. Mais ça se passait dans le mouvement tranquille du
bateau avec les bruits familiers de la mer. La bande sono n'était pas
conforme au spectacle. C'était tout à fait étrange. La
sorcière qui cuisinait la haut dans l'énorme chaudron m'inquiétait
vraiment. Mais nous étions loin de ces maléfices et comme aurait
dit Jo "C'est ça qu'y est bon !"
Nous étions bien reposés tous les deux et nous n'avons presque
pas dormi, à peine deux heures chacun. La nuit était trop belle.
On ne voulait ni l'un, ni l'autre en perdre une miette. Le vent était
régulier, 15 /20 noeuds. Il n'y a pas eu de grain (à peine quelques
gouttes pendant que Laurent se reposait au milieu de la nuit). Nous avons
donc maintenu avec un force 4, allure de prés sympa, une moyenne de
6,8 noeuds. Excellent non ?
J'ai retrouvé avec bonheur l'instant merveilleux du jour qui se lève.
C'était particulier car la lune nous a laissé sa clarté
jusqu'au matin et vers 5h30. J'ai simplement remarqué qu'à l'Ouest
la lumière restait dure et blafarde, "lumière de la nuit"
et qu'à l'Est la lumière était plus dynamique, bleutée,
"lumière du jour". Le soleil était caché par
l'île de Nevis, il s'est levé incognito.
Nous avons longé Nevis, un gros rond de roches grisâtres, une
côte peu accorte. Nous sommes arrivés au sud de Saint Kitts qui
se prolonge dans la mer par une presqu'île recouverte de lacs salés
et dont la terre est aride. Guère accueillante non plus cette approche
vers une côte grise et abrupte. Nous avons longé plusieurs mouillages
bordés de caillasses mais surtout pas du tout abrités, ni du
vent ni de la houle. Nous avons eu l'impression de longer un vrai désert.
J'aurais aimé m'y poser. La houle me dérange peu, et j'étais
fort attirée comme toujours par des mouillages vraiment sauvages complètement
isolés du monde. Mais Laurent ne voulait affronter, ni l'agitation
de la mer, ni le vent qui s'engouffrait violemment dans le creux de la presqu'île.
Après moultes (moult ?) discussions, nous avons finalement mouillé
dans la rade de la capitale, "Basse Terre". C'était pas terrible.
Probablement autant secoueur que les mouillages sauvages, au fond d'une vilaine
zone portuaire. Mais on était fatigué, on ne croyait pas pouvoir
trouver mieux. Alors on s'est posé là, juste pour dormir. C'était
la seule urgence.
Dans la journée on s'offre un petit tour en ville. Lorsqu'on aborde
un espèce de quai abandonné avec l'annexe, un pêcheur
qui bricole sur son bateau nous aide à nous amarrer. J'ai un moment
de doute. Est-ce que ce sera comme dans les autres îles ? Le mec te
tend une main pour t'aider et l'autre pour être payé de son effort
? Hé bien non. Les habitants de Saint Kitts sont simplement accueillants
et généreux. Le pêcheur nous rattrape en voiture un peu
plus loin et nous embarque spontanément dans son véhicule jusqu'en
ville. Il doit y avoir environ 5 km à travers la zone industrielle.
On est enchanté de ne pas les faire à pieds.
Basse Terre est une petite ville agréable d'inspiration anglaise. Les
gens n'ont pas l'air très riche, mais ils sont souriants. Ils nous
saluent ; ils échangent quelques mots avec nous, un peu plus que les
civilités habituelles. Les habitations sont conformes à l'usage
créole. Des cases en bois couvertes de tôles ( anti-cyclone ?)
Quelques belles constructions en pierre quelque peu coloniales. Deux magnifiques
églises. ...Sur l'unique petite place une étonnante horloge
verte de style victorien bien massif , harmonie totale avec les boutiques
en bois qui entourent la place. Des travaux sont en cours sur le front de
mer. On dirait un projet de marina. Quelques quais bien abrités en
cours d'installation, une magnifique jetée pour les navettes qui débarqueront
les voyageurs sur une magnifique place carrelée et bordées de
boutiques modernes presque prêtes. Ce vaste chantier semble engagé
depuis des lustres et à l'allure où les engins fonctionnent
avec 3 ouvriers visibles, ça risque de durer encore quelques décennies....
Nous nous posons des questions. Nous n'avons vu dans cette ville aucun touriste.
Pas le moindre écho d'autres visages pâles que les nôtres....
Qui va rentabiliser cette magnifique infrastructure qui n'en finit pas de
se construire ?
Si le mouillage avait été plus confortable nous aurions peut-être
pris le temps de louer une voiture pour aller visiter le nord de l'île,
entrer dans la montagne, dans l'intérieur du pays... Je reste convaincue
que ça valait la peine. Mais vous connaissez Laurent. Il ne supporte
pas les mouillages rouleurs... Il ne voulait surtout pas s'éterniser
dans ce site. Donc en épouse docile, telle que vous me connaissez,
j'ai gentiment obtempéré en poussant un soupir malheureux. Mais
pas suffisant malheureux ou pas suffisamment fort, Laurent ne s'est pas laissé
attendrir.
Bon ça ne marche pas à tous les coups.... Salut Saint Kitts,
à la prochaine !
Dimanche 28 avril 2002
Nous avons environ 40 milles à faire pour arriver au
mouillage de Saint Barthélémy où nous attendent Jean
Pierre et sa joyeuse famille. C'est complètement au nord de l'île,
l'anse du colombier cachée par une multitude de rocailles. Nous traçons
consciencieusement notre route. Le vent est toujours sympa. C'est une navigation
"au près" très confortable, petite houle ordinaire,
avec de temps en temps une vague intempestive pour nous réveiller de
notre torpeur. On garde la capote levée pour nous protéger des
embruns. On prend tout de même quelques rincées taquines. C'est
bien connu, la mer est farceuse quand elle est sage.
C'est vraiment extraordinaire de naviguer entre toutes ces îles. Nous
longeons Statia et j'ai fort envie de m'y arrêter... Mais bon on passe
en rêvant. On aperçoit Saba belle ombre qui se découpe
sur la mer. Saint Barthélémy s'annonce très vite. On
est au milieu d'un vaste cercle d'ïlots. Lorsque le Christophe Colomb
est arrivé par ici après des jours et des jours de navigation,
(des milles et des milles dirait Saint Ex depuis son ciel) il a du croire
qu'il hallucinait en découvrant toutes ces terres à portée
d'étrave. Mais quelle angoisse aussi de ne pas pouvoir imaginer les
fonds marins. Rocher à fleur d'eau ou pas rocher ? J'imagine la vigie,
la main en visière. Je me penche au dessus des filières. C'est
vrai que l'eau est magnifiquement claire, peut-être que ça les
enchantait autant que nous les marins antiques.
La baie qui nous accueille est vraiment jolie. Il y a une vingtaine de navires
au mouillage. On en logerais une centaine à l'aise. Je peux envoyer
ma longueur de chaîne favorite, 25 mètres pour 6 mètres
de fond. C'est vraiment l'opulence. Et puis c'est un gentil mouillage qui
ne nous secoue pas. Le vent agite un peu le taud mais il ne décoiffe
pas. Si vous pouviez voir comme c'est joli et tranquille ici. La plage est
presque déserte. C'est un sable doré et fin qui glisse sous
les pieds. Les copines, si vous avez un légionnaire sous la main, c'est
la plage qu'il vous faut. Venez y vite avec lui tant qu'il est encore chaud.
Dans la soirée nous avons rejoint le voilier de notre ami de voyage.
Toujours le même Jean Pierre et ses trois femmes si jolies. Pas la peine
de lever un sourcil réprobateur. Non, Jean Pierre n'est pas polygame.
Les trois femmes, c'est parce qu'il a une épouse et deux filles, des
craquantes petites bonnes femmes. Claire, avait préparé un apéritif
dînatoire. Hé oui les amis, rien que ça. N'allez pas croire
que l'apéritif dînatoire, c'est le privilège des salariés
à qui le patron fait les yeux doux. Nous aussi, les SDF de la mer on
a comme ça des relations courtoises de très haut niveau. Si
vous saviez comme on se sent bien dans l'ambiance familiale du chaleureux
voilier "subsou". Je compte bien revoir ce petit monde dans quelques
temps quand les filles seront devenues un peu plus grandes et conformes à
ce qu'elles promettent de devenir.
Lundi 20 mai 2002. Saint Barthélémy
Nous décidons d'aller faire un tour à la capitale
Gustavia. Rien que le nom pour moi c'est déjà plein de promesses.
Je trouve que c'est génial "Gustavia". C'est phonétiquement
très esthétique. Et puis il y a une résonance "gustative-dégustative"
dans l'orthographe. Je m'en lèche les babines à l'avance.
Nous quittons la plage le long d'un chemin qui longe la falaise. Nous sommes
sous le charme pendant environ 30 minutes. Le panorama est formidable. On
s'amuse à retrouver les îles, les rochers tels qu'ils étaient
semés à notre atterrissage. On les voyait du Sud, ce n'est plus
le même paysage. C'est rudement intéressant cette autre approche.
Nous sommes fascinés. Ce chemin m'inspire et je parodie Rimbaud
"Petit poucet rêveur, j'égrenais dans ma course,
des ..... îles..."
voilà, comment je chante dans ma tête, d'obsédantes ritournelles.
La vie est si belle quelquefois.
Par moment le chemin s'enfonce dans la verdure. L'île a été
dévastée par 5 cyclones consécutifs dont le dernier Lenny
en 99. La végétation est donc toute jeune. Les tamariniers font
à peine 3 mètres de haut. Les immenses palmiers aussi bien le
long de la plage qu'à l'intérieur de l'île sont complètement
étêtés. Les raisiniers étalent leurs branches torturées
au ras du sol et quelques mancenilliers nous caressent traîtreusement
les chevilles ou les cuisses au passage. Heureusement, ils sont rares. Le
chemin nous a conduit sur la côte opposée. Lorsque nous arrivons
à la plage des Flamands nous imaginons une sorte de vallée entre
deux collines qu'il suffit de traverser pour arriver en ville. Mais il n'y
a rien de tel à travers les sommets de Saint Barthélémy.
Ce n'est absolument pas organisé pour la rando.
Nous somme obligés de prendre la route et la route pendant plus de
6 kilomètres passe d'une colline à l'autre. C'est une route
très étroite. Les voitures ont juste la place pour se croiser.
Nous avons failli être fauchés au moins cent fois. Au bord de
l'aérodrome un avion de tourisme nous dresse les cheveux sur la tête
en nous passant au dessus du poil. Il nous a vraiment fait de l'ombre. Quelle
peur ! On marche plus d'une heure sur cette route puante qui n'en finit pas
de monter et de descendre. Un vrai cauchemar.
Tout change d'aspect lorsqu'on arrive sur le port. C'est comme une ville de
cinéma. J'ai l'impression d'avoir de la rue une vision rétrécie.
C'est pour moi inexplicable. Des boutiques en bois, de belles arcades surplombent
le trottoir. Les enseignes sont prestigieuses, Hermès, Dior, Cartier.
Je reste un moment plantée devant les vitrines, mais c'est les gens
qui passent que je reluquent. Les dames qui se promènent portent des
robes de ville très élégantes, parfaitement ajustées
à leurs lignes sveltes et leurs fins escarpins. Leurs chapeaux s'ils
leur font peu d'ombre, sont coquets et coquins. Les messieurs sont en costume,
les chemisettes parfaitement lisses, pas un faux pli. Ceux qui nous croisent
nous enrobent dans la fumée douceâtres de leur cigare en passant.
Laurent et moi on traverse tout ça comme de vrais beaufs, nu pieds
et en shorts plus ou moins nets. Les Bidochons à Saint Barth... Vous
connaissiez ?
On pique nique au bout du port à l'ombre d'un flamboyant tout juste
en fleurs exprès pour nous. Je suis ravie. Le flamboyant en fleurs
manquait vraiment à mon paysage jusqu'à ce jour. Je pense, j'espère
que nous en verrons d'autres à Saint Martin.... Notre pique nique est
conforme à l'esprit du lieu. Pamplemousses, saumon fumé, fromage
tartare pour finir... Un tel luxe ne nous avait pas été permis
depuis des lustres. Que disions-nous des Bidochons ?
Le retour vers 15 heures ne nous enthousiasme pas, surtout pas moi, j'ai le
dos qui se raidit. Nous nous renseignons sur place. Pas moyen de faire autrement,
il n'y a que cette route pour retourner à l'anse du colombier. Il n'y
a pas d'autobus ; les routes ne sont pas assez larges. Il faut utiliser des
transports collectifs (mini bus, si on en trouve), taxi (si on en trouve et
à quel prix ?) ou louer une voiture.
- On va faire de l'auto stop, déclare Laurent.
- T'es fou, avec notre allure, on est des clochards. Jamais personne ne nous
emmènera.
- Qu'est ce qu'on risque ? On attend un quart d'heure si ça ne marche
pas on se mettra doucement en route...d'accord ?
- Bon d'accord mais c'est toi qui t'en occupe, moi j'y crois pas assez pour
que ça marche.
Ce que je n'ose pas lui avouer. C'est que je n'y crois pas, parce que je suis
trop vieille, parce que je suis trop grosse et que personne ne s'arrêtera
sur ma personne. Ce que je n'ose pas lui avouer, c'est que je suis convaincue
qu'il aurait plus de chance de se faire embarquer s'il était tout seul.
Nous trouvons un endroit ou le trottoir laisse un dégagement assez
large. Impeccable pour arrêter une voiture. Laurent prend la position
du routard dynamique. Je lui ai filé le sac à dos pour faire
vrai. Je me poste légèrement en retrait pour pas le gêner,
mais visible tout de même. Je ne voudrais pas être une mauvaise
surprise pour l'hypothétique conducteur qui s'arrêtera.
La cinquième voiture s'est arrêtée. Enfin c'est plutôt
une camionnette de chantier. Normal avec notre costume. Le mec nous transporte
jusqu'à l'aérodrome. C'est un tiers de la route., en haut du
premier morne. C'est déjà ça de gagné. Laurent
s'installe sur la plate-forme arrière entre des débris de toutes
sortes et moi je m'incruste sur le siège avant, entre des sacs et des
chiffons que je pousse délicatement du pied. Je me confonds en remerciements
enthousiastes.
On parle peu, le mec parle à peine le français. Et puis, j'ai
pas grand chose à dire. A part merci.... Bien entendu au bord de l'aérodrome,
Laurent veut retenter le stop. Mais je ne suis plus d'accord. J'ai vraiment
honte. Il m'énerve vraiment. D'accord on a eu du pot sur ce coup, mais
faut pas rêver, plus personne ne va là où on va et ceux
qui y vont ce sont les gros touristes plein de sous. Ils ont loué des
coûteuses voitures. Ils ne vont pas s'encombrer de deux pouilleux comme
nous....
- Si tu y tiens fais du stop. Je continue à pied, je suis certaine
d'arriver avant toi.
Et je lui tourne le dos. Laurent insiste.
- Ne fais pas l'andouille. Je n'ai pas envie de refaire cette route et t'as
mal au dos. Attends que j'essaie.
- Non, je lui dis, et je lui re-retourne le dos...
Je n'ai pas fait deux pas que j'entends une voiture qui ralentit derrière
moi. Je la vois passer tout doucement et s'arrêter au bord de la route.
Laurent me double d'un pas énergique. Je n'en crois pas mes yeux.
Hé ben si ! Je découvre aujourd'hui que même si on n'a
pas la foi, les miracles se produisent pareillement, s'ils doivent se produire.
C'est fort ça non ? C'est même très fort, car on ne peut
rêver mieux. Nous faisons connaissance avec deux touristes français
qui se promènent de manière très fantaisiste.
- Où voulez-vous aller ?
- A la pointe du colombier, au mouillage.
- Super, c'est là qu'on ira.
En route donc pour la sympathique plage du colombier et la jolie balade à
pieds, notre retour à travers la falaise.
Ce programme leur convient parfaitement. On devient vite d'excellents copains.
Ils n'ont pas le temps de venir boire un verre à bord, mais on se retrouvera
peut-être au bar de la Mer à Saint Martin dans quelques jours....
Peut-être vous en reparlerai-je si on les rencontre de nouveau.